A son décès, M. Israëli a laissé quatre garçons et une fille. Il était particulièrement attaché à sa fille unique Rachel. À la fin de ses jours, la maladie ne lui a pas laissé le temps d’écrire un testament pour lui accorder une partie de son important patrimoine. Fidèle aux lois de la Torah, Rachel savait très bien qu’elle n’avait pas droit à une part d’héritage. Elle a malgré tout essayé de convaincre ses frères qu’il n’y avait aucun doute que leur père lui aurait accordé une part importante de ses biens. Ses frères ont fait la sourde oreille. Bien que très contrariée, elle renonce à obtenir une part afin d’éviter toute dispute dans la famille. Mais ce calme ne dure pas longtemps : peu de temps après, ses frères ont besoin de sa signature pour inscrire les biens immobiliers à leur nom au cadastre (puisque d’après la loi civile, elle est héritière d’un cinquième des biens). Sur les conseils de son mari, Rachel refuse de signer tant qu’elle n’a pas perçu une part conséquente de l’héritage de son père. Ses frères l’accusent de ne pas respecter les lois de la Torah et la convoquent au Beth dine dans l’espoir que celui-ci l’oblige à signer chez le notaire qu’elle renonce à sa part d’héritage.

Réponse : Les frères Israëli ne pourront pas obliger leur sœur Rachel à signer gratuitement sur les documents qui leur permettent d’inscrire les biens à leur nom. Ils devront arriver à un compromis ou se tourner vers un Beth Dine qui imposera ce compromis à une somme de l’ordre de 10% de la part accordée à Rachel par la loi civile.

Développement : cette question fait l’objet d’une grande controverse. Selon la Torah, s’il y a des fils, la fille n’hérite pas. Il est donc évident que si M. Israëli n’a pas établi de testament (valable selon la halakha), Rachel n’a pas droit au patrimoine de son père. D’autre part, selon la loi civile, la fille hérite autant que les fils et un cinquième des biens est inscrit officiellement au nom de Rachel. La question est de savoir si, au cas où ses frères ont besoin de sa signature pour inscrire certains biens à leur nom, elle est obligée de signer ou bien elle peut dire : « Je ne touche pas aux biens mais je ne signe pas non plus. Vous pouvez utiliser les biens inscrits civilement à mon nom. Mais si vous voulez que je vous rende le service de les inscrire à votre nom, il vous faut payer pour ce service ! »

La Guemara (Baba Kama 102b) dit que si quelqu’un achète un terrain et l’inscrit au nom d’un tiers sans l’avertir, le tiers pourra refuser de lui écrire ensuite un contrat de vente. Il pourra prétendre que cela risque de faire courir un bruit qu’il a besoin d’argent puisqu’il vend un bien et lui causer du tort (Roch). Le Maharchal (33) en déduit que, si le tiers n’a rien à perdre, il devra lui signer un contrat de vente pour que l’acheteur puisse prendre possession de son terrain, sans quoi il sera accusé de midat sedom (refuser de rendre un service qui ne cause aucun dérangement). De là, le Na’halat Tsvi (276) déduit que les filles ne peuvent pas refuser leur signature à leurs frères.

Ceci rejoint l’opinion du Maharit qui considère qu’il existe une obligation de hachavat avéda (rendre un objet perdu) puisque les instances civiles détournent les biens revenant aux fils en inscrivant une partie au nom des filles. Celles-ci sont les seules capables de rectifier la chose et de rendre les « objets perdus » à leurs propriétaires. Mais le Mahari Bassane considère que la fille peut demander à être rémunérée pour ce service qu’elle rend à ses frères. Le Ben Ich ‘Haï (Rav Péa’lim ‘Hochen Michpat 2;15) l’explique en s’appuyant sur le Rama (264 ; 4) disant que chaque service rendu à son prochain mérite salaire. C’est pour cela que de nombreux décisionnaires des dernières générations (Divrei ‘Haïm 2 ; 3, Choel Ouméchiv 1 ; 78, ‘Houkot ‘Haïm 73) considèrent que l’on ne pourra pas obliger la fille à signer. Ils conseillent aux Dayanim d’arriver à un compromis (en prenant en compte la situation financière de la fille) d’environ 10% (Rabbi ‘Haim Falagi, Ben Ich ‘Haï) de la part accordée à la fille par les instances civiles.

Rav Réouven Cohen

Peut-elle demander sa part d’héritage ?