Déjà âgé, Daniel pense au partage de ses biens. Il éprouve un attachement particulier pour sa fille mariée à un talmid ‘hakham chez qui il est très souvent hébergé. Il est très fier de ses petits-enfants qui suivent le chemin de leur père. Il souhaite donc allouer à sa fille la moitié de son patrimoine. Vu qu’il a aussi deux fils, selon la halakha, sa fille n’est pas héritière. Il se demande donc s’il a le droit d’aller à l’encontre de la Torah en accordant une si grande part à sa fille. Avant de se rendre chez son avocat pour rédiger son testament, il prend conseil chez son Rav.
Réponse : Il faut d’abord savoir que, pour modifier l’ordre de l’héritage énoncé par la Torah, il faut établir de son vivant un document conforme à la Halakha avec acte d’acquisition. Les testaments proposés par les avocats ne comportent généralement pas cet acte d’acquisition ; le testamentaire y exprime simplement sa volonté. De toutes les façons, chaque terme pouvant influer sur la validité de ce document, il est fortement conseillé de le faire rédiger par un Dayan ou un Rav expert en la matière. Le Talmud (Baba Batra 133b) et le Choul’han Aroukh (‘Hochène Michpat 282) écrivent : « Celui qui distribue ses biens à autrui en privant ses héritiers, éveille contre lui la colère des ‘Hakhamim ». Pourtant, nous trouvons plusieurs grands talmidé hakhamim ayant eux-mêmes écrit un testament accordant une demie part à leur fille. En effet, cela fait déjà plusieurs siècles que la pratique s’est répandue en Europe d’accorder à la fille, sur contrat à son mariage, une demie part d’héritage ; c’est ce qu’on appelle : chtar ‘hatsi zakhar. Cette permission s’appuie sur plusieurs raisons, dont nous citerons quelques-unes : pour marier plus facilement sa fille (Maharam Mints 47 s’appuyant sur le traité Ketoubot 52) mais il faut laisser des biens aux fils (Tachbets et Maharchal), ainsi qu’éviter des discordes dans la famille (Rama responsa 257) surtout si elles risquent d’être réglées au tribunal civil (Rabbi ‘Hayim Falagi). Mais le Panim Méirot (1 ;1) et le ‘Hatam Sofer (Evèn Haézèr 2 ; 168) écrivent que cette permission de léguer ses biens aux filles n’est valable que jusqu’à une part équivalente aux fils. Daniel ne pourra à priori donc pas accorder plus d’uns tiers de son patrimoine à sa fille. Pourtant, il peut malgré tout le faire dans son cas particulier. En effet, son gendre étant talmid ‘hakham (même s’il n’est pas dans le besoin), cette donation pourra être considérée comme tsédaka (charité) surtout s’ils ont de nombreux enfants, eux-mêmes érudits, à marier. Or il est permis de détourner l’héritage pour offrir des sommes, même importantes, à la tsédaka (Beth Yossef, Yoré Déa 249). De plus, si Daniel a été hébergé chez sa fille chez laquelle il est bien plus à l’aise que chez ses fils, ce sera considéré comme un payement. En effet, le Tsémah Tsédek (42) a permis à un vieillard d’accorder 2/3 de son appartement à son gendre et sa fille, qui allaient venir habiter avec lui, au détriment de son fils. La Guemara dit bien (Erouvine 86a) : « Si ton gendre crie, tu peux rentrer chez lui, mais si ta belle-fille crie, sauve-toi » ! La donation a, en réalité, pour but le bien-être du vieillard, et pas celui de sa fille.
Conclusion : Daniel est autorisé à léguer à sa fille la moitié de ses biens en rédigeant un testament conforme à la halakha.
Rav Réouven Cohen

Favoriser sa fille pour l’héritage