Thierry, qui habite Paris, se rend en Israël pour la Brit-Mila de son petit-fils. A cette occasion, son gendre Yéhouda qui vit également en France lui demande de bien vouloir lui acheter une bouteille de whisky lors de son passage à la boutique duty-free où elle coute deux fois moins cher qu’ailleurs. Il lui remet pour cet achat la somme de 50 euros. Thierry accepte, achète la bouteille de whisky et la met dans son bagage à main. A son arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv, il perçoit une forte odeur d’alcool dans son attaché-case. Il se souvient d’ailleurs avoir fait tomber son attaché-case deux fois déjà, une fois juste après son achat et une deuxième en descendant de l’avion. A son retour en France, Thierry rembourse donc à Yéhouda les 50 euros puisqu’il a cassé la bouteille. Cependant, ce dernier lui réclame la somme de 100 euros, puisqu’à présent la bouteille de whisky lui coûtera 100 euros dans n’importe quelle autre boutique. Tous deux décident de consulter leur Rav pour connaitre la halakha sur ce point et savoir ce qu’ils doivent faire.

Réponse: Thierry est un Chalia’h (envoyé) bénévole, auquel s’applique la loi de Chomer ‘Hinam (Choul’hane ‘Aroukh 291-2). Dans ce cas, il a été coupable de négligence (291-1) lorsqu’il a fait tomber son attaché-case. Il faut souligner que c’est au moment de l’achat qu’il a accompli son acte de cheli’hout, que la bouteille est devenue la propriété de Yéhouda, et que lui-même est donc devenu Chomer ‘hinam.

Par conséquent, Thierry est responsable du dégât, car comme il a fait preuve de négligence, c’est comme s’il avait endommagé volontairement la bouteille de Yéhouda. C’est donc le dine du « mazik » qui s’applique à lui, et il doit rembourser le dommage en fonction du moment auquel il a eu lieu (voir Cha’kh 295,7 et Ketsot Hahochen 291, 1). Aussi, si la bouteille a été cassée au duty-free, il la remboursera à son prix bas (50 euros). Si elle a été cassée dans l’avion en Israël, il devra payer la somme de 100 euros.  Puisque dans notre cas, nous avons un doute sur le moment où la bouteille s’est cassée, on devrait avoir recours au dine de « hamotsi mé’havero ‘alav hareaya« , (Baba Kama, 46-1), ce qui signifie que le détenteur de l’argent n’est pas tenu de payer la forte somme tant que le demandeur n’apporte pas de preuve qui puisse effacer le doute.

Le Maaram miRottenbourg (chap. 935) tranche, à propos d’un cas similaire, que le responsable du dégât devra payer la somme forte car on tient compte également de la « ‘Hezkat Hagouf » : on considère que l’objet est resté à son état initial pendant toute la période du doute, c’est-à-dire depuis l’achat au duty-free jusqu’à sa sortie de l’avion, en Israël. Le dommage est donc considéré comme ayant eu lieu en Israël.

Rabbi Akiva Eiger (‘Hochen Michpat 291-16) s’étonne de ce dine, mais n’apporte pas de réponse. Il semblerait que sa question vienne du fait qu’après tout, il y a aussi une « ‘hezkat mamone » – une loi qui implique que l’argent soit conservé par son détenteur tant que le doute persiste. La « ‘hezkat mamone » remporte sur la « ‘hezkat hagouf », aussi Thierry, le détenteur, ne devrait payer que 50 euros.  Mais le Sefer « Moutsal Méech », chap.26, répond que la ‘hezkat mamone remporte en effet sur la ‘hezkat hagouf, mais uniquement quand le doute porte sur l’obligation de payer ou pas, par conséquent sur le fait de garder l’argent ou pas. Or ici, Thierry est d’accord qu’il doit payer, le doute portant seulement sur la somme à payer. On fera donc prévaloir la ‘hezkat hagouf, qui implique que la bouteille a été cassée à l’arrivée seulement et non au duty-free.

En conclusion, Thierry doit régler la somme de 100 euros à Yéhouda.

Rav Aharon Cohen.

La bouteille cassée