Reouven confie à un agent immobilier la vente de sa maison au prix de 2,000,000 chequels. Ce dernier réussit à lui trouver un acheteur pour 1,950,000 chequels. L’affaire est conclue et la maison est vendue. Peu de temps plus tard, Reouven le raconte à son ami Chimon qui parait étonné. Celui-ci explique qu’une semaine plus tôt, il a proposé à ce même agent d’acheter cette maison au prix offert, mais que l’agent avait refusé l’offre et demandait un prix plus élevé. Plus tard, l’agent avoue à Reouven qu’il ne l’avait pas mis au courant de cette proposition car cet acheteur lui avait promis une commission supérieure à la normale. Reouven se rend alors au Beth Din et pose les trois questions suivantes :

  1. Est-ce un ‘méka’h taout’ [une vente faite par erreur], et Reouven peut-il donc annuler la vente ?
  2. Si non, l’agent doit-il lui payer la perte qu’il lui a causée [50,000 chequels] ?
  3. Doit-il payer la commission de l’agent?

Réponse:

  1. Le Ra »n rapporte le cas de quelqu’un qui confie les kidouchine d’une femme à un envoyé ; en d’autres termes, il envoie quelqu’un à sa place donner à la femme la somme nécessaire (ou la bague) pour l’épouser. Si elle accepte d’épouser l’envoyé (car elle ignore qu’il n’est qu’un envoyé), le mariage est valide. En effet, elle n’a pas précisé qu’elle ne l’épousait que par défaut mais que si elle avait le choix, elle aurait préféré épouser l’envoyeur. Ce n’est pas un « Méka’h Taout« , une transaction erronée. De même, le vendeur aurait pu refuser de vendre à 1,950,000 chequels s’il avait su qu’il y avait un autre acheteur potentiel.

Certains Poskim [‘Houkei ‘Hayim q. 5] disent que Reouven est en droit d’annuler cette vente à cause de la tromperie de l’agent immobilier, « hataya« . A ce cas s’applique la loi de la Guémara concernant quelqu’un qui vend ses biens dans l’intention d’aller habiter en Erets Israël. S’il ne parvient pas finalement à s’y rendre, il peut annuler la vente.

D’autres poskim disent que non. La différence tient au fait que dans le cas de la Guémara, la condition (son départ pour Erets Israël) a été précisée par le vendeur au moment de la vente alors que dans notre cas, Reouven n’a pas précisé à l’acheteur qu’il n’avait trouvé aucun autre client pour le prix de 2 000 000 chequels, bien qu’il l’ait pensé, comme le précise le Choul’han ‘Aroukh (207,4), car ce sont des « dévarim chébalev » [conditions non exprimées].

Précisons que ce din s’applique même si Reouven n’a pas intervenu directement dans la vente, et que nous ne pouvons donc pas lui reprocher d’avoir omis cette précision. Pourquoi? Car le Knesset Haguedola, Hagahot Beth Yossef (207, 67), tranche que le din de la Guémara concernant celui qui veut se rendre en Eretz Israël s’applique même la vente se fait par un intermédiaire.

En conséquence, Reouven ne peut pas annuler la vente.

  1. l’agent doit-il lui payer les 50,000 qu’il a perdus ?

Certains disent que l’agent immobilier a transgressé l’interdit de placer une embûche devant un aveugle car il lui a proposé cette affaire en lui cachant l’existence d’un acheteur plus avantageux. C’est donc un Racha [méchant] certes, mais il n’a pas de dette vis-à-vis de Reouven, même s’il a tiré profit de cette perte. En effet, c’est considéré comme une méniyat réva’h, un manque à gagner. Le Roch le déclare dispensé de payer car c’est un grama (un dommage indirect) ; selon le Rama, il doit le rembourser car c’est un garmi (un dégât presque direct).

Mais dans un cas comme le nôtre, même le Rama affirme que l’agent est dispensé de payer car Chimon, l’acheteur éventuel, n’a jamais fixé de prix directement avec Reouven, si bien que la perte de Reouven n’est pas manifeste.De plus, le dommage ne touche pas directement le vendeur car l’agent a bénéficié de la commission de la part de l’acheteur et non pas directement de la perte du vendeur.Pourtant, d’après le Netivot (183,1), lorsqu’un envoyé provoque une perte à son envoyeur en ne respectant pas ses instructions, il est considéré comme responsable et doit rembourser.

Mais les A’haronim (Pit’hei Techouva 292,5) ne partagent pas l’opinion du Netivot à ce sujet. Ajoutons enfin qu’ici, l’envoyé n’est pas seulement envoyé du vendeur, mais aussi de l’acheteur, puisqu’il est un intermédiaire.Pour toutes ces raisons, l’agent ne doit pas payer la perte qu’il a causée à Reouven.(Certains décisionnaires pensent malgré tout qu’il est responsable, car le vendeur comptait sur lui. Il s’agit du din de Maré Dinar Lechoul’hani »[Choul’hane Aroukh 306,6]).

  1. Reouven doit-il régler la commission de l’agent comme prévu ?

Non. Tout d’abord, car il s’avère a posteriori qu’il n’est pas son employé (car il ne l’aurait jamais embauché s’il avait pensé un instant qu’il le tromperait). Enfin, car de la même manière que le Rama n’oblige pas l’agent à payer son dommage car ce n’est pas un dommage certain (grama), il n’obligera pas non plus Reouven à payer la commission car il détient cette somme qui est l’objet d’un doute.

Conclusion: la vente ne peut pas être annulée, et le vendeur comme l’agent immobilier sont dispensés de payer quoi que ce soit. On pourrait ajouter que si l’on compte la commission à 2 %, 2 % de 20,00000 font 40,000 chequels. Par conséquent, puisqu’il ne doit pas payer la commission, Reouven n’a perdu finalement que 10,000 chéquels et pas 50,000.

Rav Aharon Cohen

La tromperie de l’agent