La loi de renonciation, sur quel dû ?

Franck a un supermarché à Natanya. Depuis quelque temps, il se rapproche de la Torah et commence après Roch Hachana à assister régulièrement au cours du Rav. Il apprend que si l’on n’a pas fait de prouzboul avant la fin de l’année qui vient de passer, qui était chémita, on ne pourra plus réclamer ses dettes. Il a, d’une part, des amis et des clients qui lui doivent de l’argent et d’autre part, des retards de salaire envers plusieurs employés. Il se demande ce qu’il doit faire dans cette situation.

Réponse : Franck ne pourra pas réclamer les dettes arrivées à échéance avant Roch Hachana. Il pourra, en revanche, les réclamer aux clients à qui il n’a pas présenté le solde à payer avant Roch Hachana. Quant aux salariés, cela dépendra s’il devait impérativement régler leurs salaires avant Roch Hachana ou pas.

Développement :  L’une des mitsvot de l’année de chémita est l’annulation de toutes les dettes – chémitat kessafim – qui prend effet à la fin de la septième année et ce, uniquement pour les dettes arrivées à échéance (Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat 67 ; 10). La Michna écrit que l’achat à crédit dans un magasin n’est pas annulé par la chémita. Le Rambam explique que le client qui a un compte cumule sa dette jusqu’au moment où le vendeur lui demande de la régler.[1] Auparavant, il n’y a pas d’obligation de payer et il ne peut donc pas exister d’annulation. C’est ainsi que le Beth Yossef a retenu la halakha lorsqu’il s’agit d’un client qui cumule son crédit, mais pour un achat unique à crédit, l’annulation de dette s’applique. Bien que le Ba’h déduise du Roch et du Tour qu’il n’y a d’annulation que pour les prêts, et pas pour les achats à crédit, le Sma’ et d’autres commentateurs ont retenu l’avis du Beth Yossef. C’est pourquoi Franck ne pourra pas réclamer d’argent aux clients qui ont acheté à crédit et qui ne possèdent pas de compte. En ce qui concerne le salaire, la michna (Chevi’ite 10 ; 1) écrit que la loi de la chémita ne s’y applique pas, sauf s’il a été transformé en prêt. En effet, il était autrefois d’usage de payer les employés au bout de plusieurs mois de travail (Maguid Michné). Tant que l’employé n’a pas réclamé son salaire ou n’a pas fait les comptes avec son employeur, on ne considère pas qu’il y a une dette arrivée à échéance. De nos jours où les salaires sont régulièrement payés du 1er au 5 du mois, dans le cas où les employés n’ont pas établi de prouzboul, la chémita s’appliquera au-delà de cette date. Mais si Franck a pris l’habitude de payer en retard ou si, dans son milieu, on ne respecte pas de date de salaire ferme, les salaires de ses employés ne seront pas considérés comme une dette et ne seront pas annulés à Roch Hachana.

[1]  C’est ainsi que l’on transforme, d’après la halakha, un crédit en une dette sur laquelle s’appliquera l’annulation à la fin de l’année de la chémita.

Faut-il un prouzboul si l’on a emprunté des aliments ?

Deux bonnes voisines, Rivkah et Sarah, ont pris l’habitude de se dépanner en s’empruntant régulièrement les produits alimentaires qui leur manquent. Sarah, une veuve, n’a pas pensé à établir un prouzboul.  Au lendemain de l’année de la chémita, elle se demande si elle a le droit de récupérer ce qu’elle a prêté à Rivkah.

Réponse : Sarah n’aura pas le droit de réclamer à Rivkah ce qu’elle lui doit. Elle devra lui dire qu’elle y renonce. Rivkah pourra cependant lui offrir en cadeau ce qu’elle lui devait, ce qui est un comportement loué par nos Sages.

Développement : Même les prêts d’aliments sont concernés par l’annulation des dettes par la chémita, à moins qu’il s’agisse de sommes minimes ou de voisines qui ne s’attendent pas à être remboursées. La restitution est alors considérée comme un don et pas comme un remboursement. Mais dans le cas de Rivkah et Sarah qui veillent à rendre ce qu’elles empruntent, un prouzboul est nécessaire. Une femme aussi est tenue de l’établir (voir Min’hat ‘Hinoukh mitsva 84 et Yabia Omer 10 ; 3) à moins que son mari ne l’ait fait. Sans prouzboul, le prêteur doit dire à l’emprunteur qui vient rembourser sa dette : « méchamet ani, j’annule ce prêt ».

Notons tout de même que nos Sages ont conseillé à l’emprunteur de rembourser malgré tout sa dette au prêteur qui n’a pas établi de prouzboul. C’est là un signe de piété. Ce que les ‘Hakhamim conseillent, ce n’est pas de rembourser le prêt mais d’offrir la même somme. Comme le précise le Choul’hane Aroukh (67 ; 36), l’emprunteur devra dire : « Cette somme m’appartient et je te la donne en cadeau ». Sans cela, le prêteur ne devra pas l’accepter. Rivkah pourra faire de même et offrir à Sarah les aliments qu’elle lui avait empruntés.

 

Le prouzboul

L’une des mitsvot de l’année de chémita est l’annulation de toutes les dettes. Il est dit en effet dans la Torah (Dévarim 15) : « A la fin de tous les sept ans, tu pratiqueras la loi de renonciation. Voici le sens de cette renonciation : tout créancier doit faire remise de sa créance, de ce qu’il aura prêté à son prochain. Il n’exercera pas de contrainte contre son prochain et son frère, dès qu’on a proclamé la renonciation en l’honneur de D. ».

L’annulation des dettes prend effet à la fin de la septième année, comme il est dit : « A la fin (mikets) de tous les sept ans, tu pratiqueras la loi de renonciation ».  Dans plusieurs versets, le mot kets signifie « à la fin » ou « à l’extrémité » (voir à ce sujet la controverse entre le Ramban et Ibn Ezra idem). La remise de dette ne concerne que les emprunts arrivés à échéance avant la fin de la chémita.

Le prouzboul, depuis quand et pourquoi ?

Hillel Hazaken avait remarqué que ses contemporains ne prêtaient plus d’argent de peur de voir leurs créances annulées à la fin de la septième année. Ils transgressaient ce qu’écrit la Torah : « Garde-toi de nourrir une pensée perverse en ton cœur, en te disant que la septième année, l’année de renonciation approche, et, sans pitié pour ton frère nécessiteux, de lui refuser ton secours : il se plaindrait de toi à D. et tu te rendrais coupable d’une faute ». 

Il institua donc le prouzboul qui consiste à confier toutes ses créances au Beth Dine ; de cette manière il sera permis de les recouvrer (Traité Guitine 36). La michna (Chéviit 10 ; 4) stipule qu’il faut dire face au Beth Dine : « Messieurs les Dayanim, untel untel et untel, siégeant à tel endroit, je vous remets toute dette qui m’est due et je pourrais la réclamer quand bon me semblera « . Les juges doivent ensuite écrire ce qu’ils ont entendu et signer. Le Choul’han Aroukh le consigne en tant que halakha (‘Hochen Michpat 67 ; 19).

Devant quel Beth Dine ?

Le fait que tout Beth Dine peut établir un prouzboul est sujet à controverse. Selon Rabbénou Tam et le Rambam, seul un Beth Dine compétent dans ce domaine et reconnu par les habitants de la ville comme une sommité pourra établir un prouzboul. Le Choul’han Aroukh a retenu cet avis. D’après le Rachba et le Roch, chaque Beth Dine pourra l’établir. C’est ainsi qu’a statué le Rama. Les Séfaradim devront donc soumettre leur prouzboul uniquement à un Beth Dine reconnu dans sa ville et habilité à instaurer des takanot (réglementations).

Un prouzboul par émissaire

Dans son commentaire sur le Choul’han Aroukh, Erekh Lé’hem, le Maharikach déduit de la formulation de la michna susmentionnée qu’il faut se présenter devant le Beth Dine sans se suffire d’envoyer un émissaire transmettre la demande à un Beth Dine de son choix ou même désigné au préalable. Il est possible de nommer un émissaire pour un acte mais pas pour une déclaration (milé).  Le ‘Hida (Birké Yossef Ora’h ‘Hayim 434) n’a pas retenu son avis, puisque le Choul’han Aroukh (idem 4) a permis d’annuler son ‘hamets par le biais d’un émissaire. C’est aussi la conclusion du Yabiya’ Omer (‘Hochen Michpat 2 ; 65) et du Or Létsione (Chvii’t 7 ; 5) de permettre le prouzboul par délégation.

Il faut pourtant savoir que même selon le Maharikach, il est possible d’écrire une demande et de l’envoyer au Beth Dine car la demande n’est pas faite par un émissaire mais directement par le créancier (le ‘Hatam Sofer a lui-même procédé ainsi, voir Téchouvot ‘Hatam Sofer 113 rapporté par le Pit’hé Téchouva 67 ; 3).

Prouzboul en ligne

Il sera également possible de le faire par le biais d’une demande sur un site proposant ce service,[1] le Beth Dine en question se chargeant de l’écriture du prouzboul. De cette manière, il ne sera pas nécessaire de réunir des témoins ou de se présenter face à trois dayanim. Les séfaradim ont beaucoup à gagner à appliquer cette méthode car, selon les décisionnaires séfarades, il faut faire le prouzboul a priori devant un Beth Dine éminent comme nous l’avons dit plus haut. Le Mabit (2 ; 81) écrit : « La chémita précédente, nous avions annulé et remplacé plusieurs prouzboul n’ayant pas été établis par le Beth Dine éminent de la ville ». Il faut savoir que le ‘Hazon Ovadia affirme qu’un débiteur ne pourra pas se défaire de sa dette en prétendant que le prouzboul de son créancier (même séfarade) n’a pas été établi devant un Beth Dine éminent.

 

[1]  Il est possible de le faire par le biais de ce lien htt://www.michpat-chalom.org/prozboul/

En remplissant le formulaire en ligne dans le site du Beth Dine Michpat Chalom, vous accomplissez cette mitsva de prouzboul en remettant vos créances à un Beth Dine éminent formé par les grandes autorités rabbiniques : le grand rabbin de Jérusalem, le richone Létsione Rav Chélomo Amar accompagné du Roch Avot Batei Hadine Rav Baroukh Chraga. Ce prouzboul est donc valable même selon les séfaradim. Les Rabbanim du Beth Dine reçoivent directement votre requête qui est automatiquement enregistrée dans le registre du Beth Dine, et votre prouzboul est donc effectué sans émissaire.