Victor, qui habite à Casablanca, essaye de temps en temps de sortir du Maroc une partie de sa fortune. II trouve un jour une idée originale : quand son voisin Pinhas prévoit un voyage en Israël, il lui demande d’emporter un gâteau pour son fils qui étudie à Jérusalem, en insistant qu’il le garde dans ses bagages à main. Pinhas accepte, sans se douter que Victor a introduit une dizaine de diamants dans ce gâteau à la crème… A l’aéroport de Casablanca déjà, après avoir passé le contrôle de police, en ouvrant ses bagages à main à la sécurité, Pinhas s’aperçoit que le gâteau s’est écrasé et qu’il risque de salir ses affaires. Il décide donc de s’en débarrasser et le jette à la poubelle, avec l’intention d’acheter au fils de Victor un bon gâteau à Jérusalem. Deux jours après son arrivée, il reçoit un coup de fil de Victor lui demandant où sont passés ses diamants. Pinhas ne comprend pas de quoi il veut parler et raconte à Victor que son gâteau s’étant écrasé, il l’a jeté dans une poubelle à l’aéroport de Casablanca. Atterré, Victor se met à hurler et exige que Pinhas lui paye le dégât qu’il lui a causé. Est-il en droit de le demander ?
Réponse : la Guémara Baba Kama 62a écrit : « Si l’on donne à une femme une pièce d’or à garder en lui disant : ‘Fais-y attention, c’est une pièce d’argent’ [pour qu’elle ne refuse pas de garder un objet trop cher] et qu’elle l’endommage, elle payera le prix de l’or. Mais si elle la garde négligemment [et que la pièce disparait], elle ne payera que le prix d’une pièce d’argent. » Pour la garde, la femme peut dire qu’elle ne s’est engagée qu’à garder de l’argent, et pas de l’or, mais pour le dégât, celui qui lui a donné la pièce peut lui dire : « Comment se fait-il que tu m’ais causé un dommage ? » En d’autres termes, le dommage n’est jamais excusable. D’après cela, Pinhas serait obligé de payer puisqu’il a volontairement endommagé le gâteau. Mais plus loin, la Guémara se demande si l’on fait payer le dommage à celui qui a donné un coup de pied à une caisse sans connaitre son contenu, quand le propriétaire prétend qu’elle contenait une pierre précieuse. La Guémara reste dans le doute dans ce cas, si bien que nous ne pouvons donc pas obliger celui qui a causé le dommage à payer le dégât. Les Tossafot écrivent que même si des témoins affirment que la boite contenait une pierre précieuse, l’homme qui a donné le coup de pied sera dispensé de payer puisqu’il n’est pas censé connaitre le contenu précieux de cette boite (alors que pour la pièce d’or, il fallait se douter qu’il avait menti pour avoir l’accord de la femme de garder sa pièce). Le Rama (‘Hochen Michpat 386 ; 1) a retenu l’avis des Tossafot. Mais le Choulhan Aroukh (ibid.) rapporte les propos du Rambam qui laissent penser que c’est uniquement par manque de preuve qu’on est exempt de payer, mais des témoins ou un serment de la victime du dommage obligent le responsable du dommage à payer la valeur de la pierre précieuse contenue dans la boite. Mais le Chakh (4) considère que le Rambam aussi partage l’avis des Tossafot, ce qui dispenserait Pinhas de payer dans notre cas, puisqu’il n’était pas censé imaginer que le gâteau qu’il devait transporter contenait des diamants. De plus, il me semble qu’il existe une raison supplémentaire de le dispenser du remboursement : ce gâteau pourrait être considéré comme un « rodéf », quelqu’un qui s’apprête à tuer son prochain. Le Choul’han Aroukh (380 ; 4) écrit qu’en cas de tempête, il est permis de jeter à l’eau les biens d’autrui qui alourdissent le bateau et mettent en danger la vie des passagers ; c’est même considéré comme une mitsvah. Ces bagages du bateau ont un statut de « rodéf » car ils mettent les passagers en danger. Il semble qu’il en est de même pour ce gâteau car si Pinhas se faisait arrêter à la douane marocaine, il risquait fort la prison. Or d’après les poskim, l’incarcération, surtout dans certains pays, est considérée comme pikouah néfech, un danger de mort. Dans ces circonstances, Pinhas aurait eu le droit de se débarrasser de ce gâteau s’il avait su ce qu’il contenait.
Conclusion : Pinhas ne sera pas tenu de payer à Victor quoi que ce soit.
Rav Rèouven Cohen

Un gâteau qui coute très cher !