Le Choul’han Aroukh Even Haezer (ch. 50) statue que les présents (qui ne sont pas destinés à être consommés ou usés) donnés au hatane de la part de la kalla ou de ses parents, ou ceux donnés à la kalla de la part du hatane à l’occasion des fiançailles ou par la suite, reviennent à celui qui les a donnés au cas où les fiançailles ont été rompues (source: Baba Batra 146 ; Rachba réponses tome 3,96 et autre réponse du Rachba rapportée dans le Beit Yosseph (idem) et dans le Adata Derabanan du Maharcha Elfaandri ch. 11). Le principe est clair, comme l’écrit le Rachba : le donneur des cadeaux n’a pas l’intention de les donner de manière absolue mais a la ferme intention qu’ils reviennent dans le domaine  matrimonial avec le mariage.

En connaissance de cause, après la rupture de leurs fiançailles décidée par les deux parties, Reouven a rendu à Sarah tous les cadeaux qu’elle lui avait offerts. Toutefois, dès qu’il a demandé qu’elle lui rende les cadeaux qu’il lui avait offerts, Sarah lui a fait savoir qu’elle avait été cambriolée et que tous les présents de valeur offerts par Reouven avaient disparu. Sarah doit-elle rembourser leur valeur pour dédommager son ex-fiancé ? Etant donnée l’annulation du don, les cadeaux sont considérés comme ayant toujours appartenus à Reouven. La question est de savoir si, d’après la halakha, Sarah avait une obligation de garantie vis-à-vis de Reouven et si oui, quelle est la nature de cette obligation.

Réponse: Il s’agit là d’un grand débat entre les poskim: En effet, la Guémara parle (d’après la version et le commentaire du Rashbam) du cas où les cadeaux ont augmenté de valeur ou ont rapporté un profit. La Guémara avance la possibilité qu’étant donné qu’en cas de perte ou de vol, le receveur doit les rembourser, ce surplus de valeur lui appartient. Rabbi Akiva Eiger (nouvelle réponse 11) déduit de cette Guémara que le receveur a une obligation de garantie totale vis-à-vis du donneur, qui est égale à celui d’un emprunteur et qui inclut même une perte en cas de force majeure. En effet, seule une obligation telle justifiera que le receveur acquière le surplus de valeur même en cas de restitution. En d’autres termes, la Guémara ne remet pas en question l’obligation de garantie en cas d’annulation du mariage. La question sur laquelle la Guémara ne tranche pas, c’est s’il est considéré comme un simple emprunteur étant donné qu’il profite de l’utilisation des présents pour l’instant ou s’il acquiert tout de même, en échange de son obligation que les cadeaux reviennent au donneur (ou par leur utilisation dans le  domaine matrimonial ou par le remboursement de leur valeur en cas d’annulation du mariage), l’usufruit temporaire de tous profits qu’ils rapportent jusqu’au mariage ou jusqu’à la rupture des fiançailles. C’est pourquoi Rabbi Akivah Eiger, dans ses notes sur le Choul’han Aroukh (50,2), rapporte le Maharam Galanti (14) qui statue également que les mariés ont l’obligation de se dédommager en cas de perte ; c’est ainsi que tranche le Mishpatim Yesharim (Rav Berdugo tome 2, 88). Pour sa part, le Pérach Maté Aaron (tome 2, 115) applique aux mariés, d’après cette Guémara, la loi du locataire, qui ne doit payer que s’il avait la possibilité par sa vigilance d’empêcher le dommage (il reste à méditer la preuve de Rabbi Akivah Eiger).

Rabbi Akiva Eiger (11) ajoute que sans cette Guémara, il aurait assimilé ce cas à celui d’une personne qui acquiert un bien temporairement pour un temps défini (Roch Baba Metsiah 8,3, Choul’han Aroukh Hochen Michpat 346,18). Ce cas suscite un débat parmi les poskim et Rabbi Akiva Eiger rejoint ici le Ketsot Hachochen (346 6) qui considère que dans le cas de l’acquéreur temporaire, le bien a été donné sans condition mais de manière temporaire pour un temps défini, contrairement au cas d’un présent donné sous condition de restitution. Et de là, d’après le Roch (Baba Metsia 83), le receveur d’un don temporaire bénéficie du régime du gardien bénévole qui ne doit dédommager la perte du bien qu’en cas de négligence. En effet, il garde bénévolement l’objet jusqu’au moment où il revient de droit à son propriétaire initial, sans que sa propriété temporaire ne soit conditionnée par une obligation de restitution quelconque. Donc d’après cela, les présents sont offerts temporairement par les fiancés pour la durée de leur union. En cas de rupture de celle-ci, le bien retourne à son propriétaire initial.

Il y a lieu de penser, si l’on poursuit cette idée, que dans notre cas, la fiancée n’est même pas gardien du cadeau car tant que n’est pas prévue la rupture des fiançailles, Sarah ne pense guère à garder le présent pour Reouven et le terme de sa propriété advient soudainement.

Le Hatam Sofer (réponses Even Haézer tome 1 82) affirme qu’il n’y a aucune obligation de garantie envers le donneur sur les présents offerts entre les fiancés. Effectivement, le Hida (Haïm Chaal 64) remarque que  la majorité des Richonim (Ri Migash, Yad Rema, Raavad, Ritva, Nimoukei Yossef, Méiri) ne lisent pas la Guémara de la même manière. Chez certains d’entre eux, cette version où il est question de perte ou de vol n’y figure pas et ne peut pas y figurer. (J`invite le public à étudier cette Guémara avec les Richonim, le développement de ce sujet dépassant le cadre de cette rubrique).

Le Hatam Sofer assimile donc vraisemblablement le cas de ces présents à une acquisition temporaire puisque le donneur a bien l’intention de donner le présent à sa fiancée tout en sachant qu’il existe une possibilité que ce don soit de durée limitée. C`est pourquoi dans notre cas, il dispense Sarah de tout paiement. De plus, même si l’on assimile ce cas à celui du donneur « sous condition de restitution » – et c’est l’avis du Beth Méir (Orach Haïm 658) – il faut savoir que le Choul’han Arouh Hochen Michpat 241 statue selon l’avis du Rachbam qui dispense l’acquéreur de tout paiement dans les cas de perte, hormis s’il y a eu négligence de sa part. D’après lui, même si a fortiori une fois la donation annulée, le bien appartenant au propriétaire initial se trouve chez le receveur injustement, ce dernier se l’est approprié en toute bonne foi et il n’y a pas de raison de le considérer comme un voleur. Son opinion est différente du Roch (Souccah 3), qui impose au receveur « sous condition de restitution » l`obligation de rembourser le dommage même en cas de force majeure. Certains dayanim contemporains estiment que dans la réalité d’aujourd’hui, les fiancés ne pensent généralement pas à réclamer les cadeaux en cas de dommage ou de perte, même s’ils viennent à rompre les fiançailles. On peut donc affirmer que dans les conditions d’une perte, le don est absolu.

Conclusion : Compte tenu des différents avis des poskim, on ne peut pas obliger Sarah à rembourser le prix des cadeaux.

Rav Ellia Yafé

Les cadeaux de fiançailles