M. Cohen a décidé de vendre son appartement et le fait savoir à ses connaissances. M. Israël, agent immobilier de profession, lui propose ses services. M. Cohen le remercie sincèrement mais lui dit clairement qu’il n’est pas intéressé à payer une commission. Le lendemain, M. Lévy contacte M. Cohen pour visiter son appartement en lui précisant qu’il a été envoyé par M. Israël. Par la suite, la vente se fait. Quand M. Cohen rencontre M. Israël et le remercie de lui avoir trouvé un acheteur, celui-ci lui répond qu’il ne l’a pas fait gratuitement et qu’il attend sa commission. M. Cohen prétend ne pas être redevable envers M. Israël puisqu’il n’a pas été lié par un contrat, comme le font les agences immobilières. De plus, il a bien précisé à M. Israël qu’il ne voulait pas verser de commission et il lui semble que l’agent immobilier a accepté sa condition puisqu’il s’est tu à ce moment-là. M. Israël lui répond qu’il ne travaille jamais bénévolement et qu’il s’est réservé le droit de ne pas répondre. M. Cohen est-il tenu de payer sa commission à M. Israël ?

Réponse: Les agents immobiliers ont l’habitude de dresser un contrat avec leur client ; d’après la Halakha, ce contrat n’est pas nécessaire mais il est conseillé (Michpath Chalom 195). Dans la Halakha, le statut juridique de l’agent immobilier équivaut à celui du « sarsour » (intermédiaire, ou commercial). Le « sarsour » est un « poel kablane » (un employé payé à la tâche) : on loue ses services de vendeur professionnel afin qu’il aide à trouver un acheteur et à faire aboutir la vente. Du fait de son statut de poel, le sarsour n’a pas besoin de contrat pour que celui qui bénéficie de ses services soit engagé vis-à-vis de lui. Dans le cas où l’agent n’a pas été sollicité par le vendeur mais est venu de lui-même, le Rama (’Hochen Michpath 195, 6) oblige le vendeur à payer sa commission. Il rapporte un cas où Reouven, agent immobilier, a présenté Lévi (un acheteur potentiel) à Chimon (le vendeur). Chimon a refusé de vendre l’appartement à Lévi sous prétexte qu’il le détestait (c’était une ruse pour ne pas employer Reouven) et la vente a été faite plus tard par un autre agent. Le Gaon de Vilna (’Hochen Michpath 195, 13) explique le Rama ainsi : nous avons une règle selon laquelle quiconque a profité d’un service payant est tenu de payer celui qui le lui a fourni, même si ce service a été effectué sans son autorisation. Il cite la Guemara (Baba Metsia 101a) à propos de celui qui a planté un arbre sans autorisation dans le champ d’autrui.

Dans le cas où le propriétaire dit explicitement qu’il n’est pas intéressé par les services de l’agent, le Moaria Halévi (Responsa tome 2 réponse 151) pense qu’on ne peut pas l’obliger à payer. Cependant, nombreux sont les décisionnaires (Peri Tevoua responsa tome 2 réponse 58, Marach Angel tome 3 réponse 15) qui pensent que si le vendeur a eu un profit, il est malgré tout obligé de payer. Le Gaon Rabbi Asher Hanania zatsal (Chaarei Yosher tome 1 ‘Hoshen Mishpat réponse 47) rapporte l’avis du Gaon Rabbi Yossef Chalom Eliyashiv zatsal qui a tranché selon le deuxième avis.

Dans notre cas, M. Cohen a précisé qu’il n’était pas intéressé à payer de commission. Cependant, d’après l’avis des nombreux décisionnaires, s’il a bénéficié de l’intervention de l’agent, il doit payer. (Dans le cas où il est prêt à annuler la vente pour ne pas verser la commission, nous pouvons considérer qu’il n’a pas profité des services de l’agent et il ne devra donc pas la payer.)

Cependant M. Cohen prétend que par son silence, M. Israël a accepté ses dires et l’a dispensé de la commission.

Il y a deux possibilités de dispenser M. Cohen de payer la commission : la première est de dire que M. Israël  a accepté ses conditions, voir Choul’han Aroukh (’Hochen Michpath 241) : lorsque le vendeur et l’acheteur sont indécis sur le prix et que l’un des deux décide de concrétiser la vente, nous considérons qu’il se plie au prix proposé par l’autre. Cependant, nous pouvons réfuter cette idée du fait que notre cas, il n’y a pas de prix proposé puisque l’un demande à l’autre de travailler gratuitement. L’agent a le droit de se taire et de demander plus tard sa commission. Toutefois, dans le cas où l’agent reçoit une commission de la part de l’acheteur, nous pouvons considérer qu’il accepte de dispenser le vendeur pour concrétiser la vente.

La deuxième possibilité est d’expliquer le silence de l’agent immobilier comme une Me’hila (il renonce à recouvrer la dette de M. Cohen). Dans ce cas, nous sommes confrontés à un problème halakhique : peut-on renoncer à une dette par la pensée, sans le dire explicitement, de sorte qu’on n’aura plus le droit ensuite de réclamer l’argent qu’on nous devait? Selon le Maharchal, cela est possible, mais le Ketsot Ha’hochen (12,1) le réfute et pense que nous n’accordons pas de valeur aux pensées. Le Nétivot (12, 5), d’accord avec lui, fait une différence entre l’annulation en pensée d’une dette présente et celle d’une dette future (qui est possible, car si la dette n’existe pas actuellement, la pensée suffit pour ne pas la créer). Dans notre cas, lorsque l’agent s’est tu au moment où M. Cohen lui a dit qu’il ne paierait pas de commission, il s’agissait d’une dette future, aussi nous pourrions dispenser M. Cohen de payer. Cependant, le Maharach Angel explique que les paroles du Nétivot s’appliquent, par exemple, au cas où une personne en invite une autre à sa table. La première pourra réclamer à son invité une participation aux frais du repas. Cependant, si elle avait pensé l’inviter gratuitement, elle ne pourra pas lui réclamer ultérieurement une participation, car en général, les gens ne réclament pas de participation de la part de leurs invités et donc sa pensée a annulé la dette potentielle. Dans notre cas, même si M. Israël, en se taisant, acceptait de travailler gratuitement, sa pensée n’aurait pas pu annuler la dette, car en général, on sait que les agents immobiliers ne travaillent pas gratuitement.

Conclusion: Puisque M. Cohen a bénéficié des services de M. Israël, il sera obligé de lui verser une commission, dont le montant sera l’objet d’un prochain article. Cependant, si l’agent immobilier touche déjà une commission de l’acheteur, nous pouvons considérer qu’il a renoncé à celle de M. Cohen.

Dans le cas où M. Cohen est prêt à annuler la vente pour ne pas payer la commission, du fait qu’il n’était pas intéressé par les services de l’agent, il sera exempté de payer.    

Rav Yéhouda Lévy

Faut-il payer à l’agent une commission?