A la Brit Mila de son neveu, Sammy attendait avec impatience l’arrivée de la famille et des amis .Debout près de la fenêtre pour voir ses proches venir, il a constaté qu’Aharon, en train de faire marche arrière pour garer sa voiture, a rayé par inadvertance la voiture de Raphaël devant lui. Raphaël qui se trouvait encore au volant l’a interpelé et lui a demandé de l’indemniser, car la réparation allait lui coûter 200 Euros. Aharon a prétendu qu’il ignorait avoir causé le moindre dommage. Raphaël et Aharon étant de bons amis et des proches parents ont décidé de ne pas aller en Din Torah car cette procédure risquait de gâcher leur amitié. Ils ont convenu plutôt de se rendre le jour même chez leur Rav pour établir un compromis. Sammy s’est demandé s’il avait le devoir de témoigner devant ce Rav, car il était le beau frère de l’un d’eux et ne voulait pas avoir de problèmes avec qui que ce soit. Il a donc rapidement appelé le Beth Hora’a (centre de renseignements halakhiques du beth dine) pour savoir que faire.

Réponse:La Torah nous enseigne clairement (Vayiqra 5, 1) qu’une personne ayant assisté à un incident qui obligerait  le responsable à dédommager son prochain, est obligée de venir témoigner devant le Beth Din afin qu’il puisse obliger le coupable à rembourser son prochain.

Toutefois, dans notre cas, Sammy est le beau-frère d’une des parties ; il n’est donc pas autorisé à témoigner devant le Beth Din, comme le dit la Halakha (Choul’han ‘Aroukh ‘Hochen Michpat 34,1). D’autre part, Sammy étant un homme de confiance, s’il venait à raconter ce qu’il a vu, Aharon en serait certainement convaincu et dédommagerait Raphaël.

Le Ramban (Chevouot 35, 1) nous enseigne que l’obligation de témoigner citée ci-dessus ne s’applique en aucun cas aux proches parents d’une des deux parties même si les parties acceptent son verdict ou son témoignage. Selon le Ramban, Sammy n’aura donc aucune obligation de témoigner.

Cependant, après avoir cité cette décision du Ramban, le Ketsot Ha’hochen (28, 3) conclut : bien que l’obligation de témoigner citée ci-dessus ne s’applique pas aux proches parents, même s’ils sont acceptés par les parties, dans un tel cas, le parent devra aller témoigner pour une autre raison, celle de Hachavat Aveida (restitution d’un objet perdu). En effet, de la même manière qu’un homme se doit de rendre un objet perdu, il devra aussi témoigner pour éviter une perte à son prochain. Le Nétivot Hamichpat (28, 1) est du même avis. Selon eux, Sammy aura donc l’obligation de témoigner.

Pourtant, il y a quand même lieu de décharger Sammy de cette obligation : même dans le cas d’une Hachavat Aveida, la Torah n’oblige pas une personne à accomplir cette Mitsva si cela lui cause du tort (à moins que la valeur de l’objet trouvé soit supérieure à la perte causée par cette Mitsva, et dans ce cas elle devra être dédommagée par le propriétaire de l’objet (Choul’han ‘Aroukh ‘Hochen Michpat 264-265). Donc, puisque Sammy a peur de se mettre mal avec sa famille par ce témoignage, il sera exempt de témoigner en faveur de Raphaël.

A noter que cette Halakha s’applique uniquement s’il existe une raison bien fondée de craindre que ce témoignage cause un préjudice. Par contre, si ce n’est qu’un vague soupçon, cela ne le décharge pas de témoigner.

Rav Itshak Bellahsen

Chaoul veut faire un cadeau à sa femme. Il demande à son ami Sammy, courtier en bijoux : « Lors de ton prochain voyage en Belgique, pourrais-tu acheter un collier en argent pour ma femme ? » Quelques jours plus tard, Sammy achète le collier et dès son retour, le revend à Chaoul pour 200. Chaoul offre le joli bijou à sa femme. Trois ans plus tard, sa femme apporte son collier à un bijoutier pour le faire briller. Ce dernier est stupéfait et lui demande aussitôt : « Savez-vous que votre collier n’est pas en argent mais en or blanc très rare que seuls les grands experts savent reconnaitre ? Je pense que votre collier peut être estimé à 4000€ ! »

Chaoul s’empresse de raconter à Sammy la bonne nouvelle. Mais Sammy, qui a le sens des affaires, demande immédiatement à Chaoul que la vente soit annulée étant donné qu’ils avaient convenu d’une vente d’un collier en argent mais pas en or. Chaoul de son côté prétend que sans lui, Sammy n’aurait de toute façon rien gagné et qu’il ne peut donc pas annuler la vente. Ils appellent donc le Beth Din pour savoir ce qu’ils doivent faire.

Réponse: Le Choul’han ‘Aroukh (233, 1) écrit que si un vendeur et un acheteur se sont mis d’accord pour une certaine marchandise et que l’acheteur a finalement reçu par erreur un autre type de marchandise (par exemple du vin à la place du vinaigre), les deux parties peuvent annuler la vente même s’il n’y a pas de différence de prix entre les deux. C’est a priori une Halakha qui donnerait à Sammy la possibilité d’annuler la vente du collier.

Cependant, le Rama sur le Choul’han ‘Aroukh (232, 18) écrit : si quelqu’un a acheté une bague en étain et l’a revendue, puis l’acheteur s’est rendu compte que la bague était plaquée d’étain mais que l’intérieur était en or, il ne sera pas possible d’annuler la vente. Le Rama explique que dans un cas pareil, l’intermédiaire n’a jamais été considéré comme le propriétaire de cette bague car pour devenir propriétaire, il faut faire un acte d’acquisition (kinyan) avec l’intention de vouloir acquérir., Or dans ce cas, il avait uniquement l’intention d’acquérir une bague en étain et pas en or, et puisque l’intermédiaire n’a jamais été considéré comme propriétaire, c’est l’acheteur qui a découvert l’or qui a fait alors un acte d’acquisition pour l’acquérir. Dans notre cas, on pourra donc dire aussi que puisque Sammy ne savait pas en quelle matière était ce collier, il ne lui a donc jamais appartenu. Il appartient donc à Chaoul et sa femme (qui font actuellement un acte d’acquisition du fait qu’il est dans leur propriété, comme cela est enseigné dans le Choul’han ‘Aroukh 200, 1).

Toutefois, il y a une différence entre ces deux cas. Dans le cas cité par le Rama, l’intermédiaire ne savait pas ce qu’il avait dans la main au moment de l’achat et c’est pour cela qu’il ne l’a pas acquis du tout. Par contre, Sammy voit  exactement ce qu’il avait dans la main au moment où il l’a acheté, mais son erreur tenait à un manque d’expertise pour l’évaluation du collier. A priori donc, Sammy a bien acquis ce collier.

En effet, dans le responsa Avodat Haguerchouni (Question 94), après avoir rapporté la Halakha du Rama, il écrit qu’il faut faire une différence entre de l’or plaqué d’un métal et un objet homogène dont la matière était inconnue. Cependant, à la fin de sa réponse, le Avodat Haguerchouni rapporte que le Lévouch (‘Hochen Michpat ch. 233) écrit qu’il n’y a pas de différence entre ces deux types d’objets et tranche la Halakha de cette façon ; c’est aussi l’avis de Rabbi Akiva Eiger (‘Hochen Michpat ch. 232). Par conséquent, dans les deux cas, l’intermédiaire ne pourra pas annuler la vente.

Néanmoins, le bijoutier a été le premier à reconnaitre la matière de ce collier. On aurait pu dire que le collier lui appartient puisqu’il a été le premier à le soulever (ce qui est un acte d’acquisition) après avoir pris conscience de sa valeur. Cependant, puisqu’il ne l’a pas soulevé avec l’intention de l’acquérir, il ne lui appartient pas.

Conclusion: Le collier reste aujourd’hui la propriété de Chaoul et sa femme, et Sammy ne peut pas annuler la vente.

Rav Itshak Bellahsen

Yinoun habite à Djerba alors que son neveu Camous s’est récemment installé à Paris. Ce dernier lui propose de s’associer à lui dans une boutique de textile à Paris. Yinoun a investi plus d’argent puisque c’est seul Camous qui doit entièrement gérer ce commerce. Ils avaient convenu de s’associer à 50/50. Bien qu’aujourd’hui l’affaire marche très bien, elle ne rapportait pas beaucoup de bénéfices les premières années. Pourtant, deux ans après l’ouverture du commerce, Camous avait déjà acheté un appartement à Paris.

Face à l’étonnement de Yinoun, Camous lui avoue qu’au fond de la boutique, il vend de façon indépendante des bijoux, sans négliger le commerce de tissus. C’est ce qui lui a permis de financer son appartement. Yinoun se sent lésé car il affirme qu’il a investi à condition de partager tous les bénéfices et que Camous a utilisé le local et les fonds de la société. Camous rétorque que leur accord concerne uniquement le commerce de textiles, qu’il continue à gérer sérieusement. Il avoue aussi s’être permis de prendre trois payes d’avance (à un moment où il y avait un surplus de trésorerie) pour démarrer le commerce de bijoux, mais il assure ne rien devoir aujourd’hui à la société. Ils décident donc de se tourner vers le beth dine pour régler ce litige qui crée une scission dans la famille.

Réponse : il est évident que Camous n’avait pas le droit d’utiliser la boutique pour un commerce personnel sans l’accord de son associé Yinoun. La question est de savoir s’il doit partager avec lui les bénéfices de la vente des bijoux. Le Choulhan Aroukh ‘Hochen Michpat 186;10 écrit : « Celui qui s’associe à son ami… ne s’occupera pas d’une autre marchandise… et s’il l’a fait, il assumera les pertes et partagera les gains ». Le Sma’ 32 démontre que cette halakha est valable même s’il a acheté la marchandise de son propre argent. On considère que la marchandise supplémentaire a forcément affecté son engagement d’associé (sauf dans le cas où le surplus ne dérange pas, par exemple lorsqu’un berger ajoute une ou deux bêtes au troupeau de l’association), aussi il devra partager les gains perçus par son travail supplémentaire. Par contre, le Chakh 22  pense qu’il s’agit uniquement du cas où la marchandise a été achetée par l’argent commun. Le Netivot 20 va aussi dans ce sens et ajoute qu’il en sera de même s’ils s’associent (ou si l’employé s’engage) pour toute affaire qui puisse rapporter des bénéfices (voir Choulhan Aroukh Yoré Déa 187). Dans ce cas, l’engagement est de mettre au service de l’association tout travail effectué. Les gains seront alors partagés même si l’associé a acheté la marchandise de son propre argent.

Dans notre cas, Camous ne s’est pas engagé à mettre au service de l’association tout travail effectué. Il sera difficile de prouver qu’il a négligé le commerce du textile puisque l’affaire s’est développée de façon satisfaisante. S’il avait acheté les bijoux de son propre argent, d’après le Chakh et le Netivot, tous les bénéfices lui reviendraient. Cependant, comme il s’est servi de la caisse commune sans la permission de Yinoun, il n’avait pas le droit de prendre plusieurs payes d’avance. Les bijoux ont donc été achetés par l’argent de l’association, de sorte que le Chakh et le Netivot sont aussi d’accord que les bénéfices devront être partagés, d’autant plus que la boutique commune a aussi servi à la vente des bijoux.

En conclusion : Camous doit partager avec Yinoun tous les gains obtenus de la vente des bijoux.

Rav Réouven Cohen

Dan et Gilles, des amis d’enfance, se faisaient entièrement confiance et décidèrent de s’associer dans une affaire pour une durée de deux ans. Au bout de trois mois, Gilles reçoit d’un client une plainte disant que Dan a essayé de le tromper. Dan avoue, regrette son méfait et promet de ne plus le faire. Gilles demande à dissoudre immédiatement leur association. Dan n’est pas d’accord et prétend que ce partage en milieu de période fixée lui causera des pertes. De plus, il assure s’être conduit loyalement vis-à-vis de son associé. Il comptait partager avec lui l’argent volé et il est même prêt à le dédommager pour la mauvaise réputation qu’il lui aurait causée. Mais Gilles refuse de lui donner une chance supplémentaire. Ils se tournent tous les deux vers le beth dine pour régler ce litige.

Réponse: le Choulhan Aroukh Hochen Michpat (186;15) écrit : « Des associes ayant fixé une période d’association, chacun pourra empêcher son prochain de se retirer au milieu « . Le Rama rajoute : « Si [l’un des associés] a modifié [les termes ou le but de l’associatin], commis une faute ou transgressé une condition, il [l’autre associé] ne pourra pas dissoudre l’association, mais [le premier] devra payer les pertes causées (Rambam) ; certains pensent qu’il pourra dissoudre l’association (Mordekhay) ». Le Kessef Hakodachim (ibid.) ajoute que si un associé a volé, le deuxième pourra l’obliger à dissoudre l’association, mais pas en cas de simple soupçon. Il s’agit évidemment d’un cas où il a volé son associé. Dans notre cas, Gilles ne soupçonne pas Dan de le voler mais il déplore sa conduite malhonnête envers le client. Est-ce une raison valable pour dissoudre l’association ? Il semble que oui. En effet, le Choulhan Aroukh 306 énonce une liste d’employés que l’on peut licencier à la première erreur et la raison donnée par le Sma’ 20 est qu’il s’agit d’erreur que l’on ne peut dédommager ou évaluer. Le Nétivot (186; 33) écrit au nom du Beth Yossef que la loi concernant l’associé est semblable à celle de l’ouvrier. Il se base sur ce Sma’ pour affirmer qu’il n’y a en fait pas de controverse entre le Rambam et le Mordekhay cités plus haut dans le Rama. La loi dépend si la faute commise par l’associé est réparable ou non. Or un tort qu’on ne peut évaluer est considéré comme irréparable. Dans notre cas, le tort causé par Dan ne peut être mesuré. On ne saura jamais combien de clients se sont éloignés de leur affaire suite à la mauvaise réputation que lui a faite le client que Dan a essayé de tromper. Gilles a donc le droit de rompre leur association.  

Rav Réouven Cohen

Mr Ullman a mandaté un agent immobilier pour la location de son studio. Cela fait quelques semaines que cet agent était en pourparlers avec un client, Israël, qui s’y intéressait pour y installer son bureau. Puisque le mandat ne donnait pas l’exclusivité à cet agent et qu’Israël prenait trop de temps à se décider, Mr Oulman a cherché de son côté un locataire. Il fait visiter son studio à David qui s’engage immédiatement et prend rendez-vous dès le lendemain pour signer un contrat. En l’apprenant, Israël propose de remettre immédiatement une première mensualité à l’agent et de signer un contrat dès son retour de voyage. Mr Oulman donne à l’agent son accord pour conclure avec Israël et encaisser l’argent. Lorsque l’agent vient remettre la somme du loyer à Mr Oulman, celui-ci lui fait part de ses hésitations : David n’est pas content de sa conduite et lui a exposé l’interdiction selon la Torah de revenir sur sa parole après avoir conclu une affaire même verbalement. L’agent propose à Mr Oulman de demander au Beth din la conduite à adopter dans ce cas.

Réponse : Un bien immobilier  se loue de trois façons : par l’argent, par le contrat et par la jouissance, qui montre sa propriété (Baba Metsia 99b). L’engagement entre David et Mr Oulman n’étant que verbal, chacun d’eux a donc le droit de se rétracter. Cependant, la Guemara Baba Metsia (49a) enseigne : « Celui qui s’engage en commerce par la parole doit respecter ce qu’il a dit, même s’il n’y a eu aucune forme d’acquisition. Et s’il se rétracte, les hakhamim ne seront pas satisfaits de sa conduite ». Mr Oulman devrait donc respecter sa parole vis-à-vis de David pour ne pas être méhoussar amana (déloyal). Le problème, c’est que son engagement vis-à-vis d’Israël semble plus décisif, puisqu’il a reçu de sa part de l’argent par le biais de l’agent immobilier. En effet, avec son accord, l’agent devient chaliah kabala, son émissaire pour recevoir l’argent. Or, comme nous l’avons mentionné plus haut, l’argent constitue une forme d’acquisition pour la location d’un bien immobilier. En recevant cette première mensualité, l’engagement envers Israël devient irréversible même si le contrat n’a pas été signé. Certes, le Choulhan Aroukh Hochen Michpat 190;7 écrit au sujet d’un achat d’immobilier : « Dans un endroit où l’usage est d’écrire un contrat, celui-ci devient indispensable pour montrer sa détermination [à conclure l’achat] et l’argent ne suffit pas ». Cependant, le Rama 195;9 écrit en son nom (Beth Yossef) que pour une location, l’argent suffira même dans ces endroits. La raison en est que puisqu’il s’agit d’une période déterminée, les parties n’accordent pas d’importance au contrat (Sma’ 20). Or, de nos jours, comme l’usage est d’exiger un contrat même pour une location, le contrat reste indispensable (le rav Naftali Nüsbaum chlita affirme que cela dépend si on demande un contrat de location pour sa valeur juridique ou tout simplement pour avoir une liste écrite des nombreuses clauses entendues entre les parties). Mais il faut savoir que même si l’on considère que l’argent versé ne suffit pas, Mr Oulman ne pourra pas se retirer impunément de son engagement envers Israël. En effet, au sujet de biens mobiliers, nos Sages ont annulé l’acquisition par l’argent mais ils ont interdit de se rétracter sous peine de mi chépara’/une forme de malédiction (Choulhan Aroukh Hochen Michpat 204;1). Le Pithé Tchouva (ibid.) rapporte la controverse citée par le Beth Yossef au sujet de l’acquisition de biens immobiliers par l’argent où il est d’usage d’écrire un contrat et conclut au nom de la majorité des poskim qu’il y a aussi mi chépara’ pour l’acquisition de biens immobiliers (voir à ce sujet Divrei Chalom 2;73).

En conclusion,  Mr Oulman devra signer avec Israël pour éviter cette malédiction de mi chépara’ qui est plus grave que le fait d’être méhoussar amana. De plus, les personnes d’origine achkénaze pourront s’appuyer sur le Chakh 204;8 et le Bah 204;11 (en désaccord avec le Choulhan Aroukh) qui considèrent qu’il n’est pas méhoussar amana lorsqu’il a une raison valable de se rétracter (voir à ce sujet Hatam Sofer sur Yoré Déa 246).

Rav Réouven Cohen

Après le décès de Mr Israël en nissane 5777, ses enfants trouvent chez lui un testament rédigé le 18 tévet 5765. Il y écrit qu’il partage le seul appartement qu’il possédait à ce moment-là à Ashdod à parts égales entre ses filles et ses fils. Il écrit, comme il est d’usage, qu’il donne aujourd’hui la nue-propriété aux bénéficiaires et l’usufruit après son décès, avec une clause qui lui permet à tout moment de changer d’avis. Mais il s’avère qu’en 5771, Mr Israël a dû vendre cet appartement pour en acheter un autre à proximité de l’hôpital Chaaré Tsédèk à Jérusalem où il devait recevoir régulièrement des soins. Les enfants se demandent si ce testament est valable en ce qui concerne cet appartement de Jérusalem. Les filles, qui ne sont pas héritières selon la Torah, prétendent que leur père n’a jamais changé d’avis mais a juste remplacé un appartement par un autre de la même valeur. Mais les fils se demandent si leurs sœurs ont droit à une part dans le partage de l’appartement, au vu de son testament.

Réponse: Selon la Torah, lorsque le défunt laisse un fils, sa fille n’hérite pas. Pour lui octroyer une part de ses biens, il faut écrire un testament conforme à la halakha, comme l’a fait Mr Israël. La question est de savoir si la vente de l’appartement d’Ashdod a annulé le testament ou bien si l’argent obtenu par cette vente prend le même statut que l’appartement dont la nue-propriété appartenait aux enfants. Le Noda’ Biyehouda (‘Hochen Michpat 29) traite d’une affaire semblable et écrit qu’il n’y a aucune raison de penser qu’il a acheté l’appartement de Jérusalem avec l’argent qui appartient à ses enfants (de la vente de l’appartement d’Ashdod) alors qu’il peut facilement annuler son testament et reprendre la pleine propriété  de cet argent. D’après cela, les filles n’auront aucune part dans l’appartement. Mais il reste à savoir s’il n’incombe pas aux garçons d’accomplir le désir de leur père qui souhaitait partager ses biens à parts égales entre tous ses enfants. Le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 252;2) écrit que c’est une mitsva d’accomplir le vœu du défunt uniquement s’il a déposé à cet effet le bien auprès d’une tierce personne. Ce n’est pas le cas pour Mr Israël, d’autant plus qu’il n’a pas vraiment exprimé clairement un vœu. Mais le Rav Akiva Eiguer (Drouch Ve’hidouch 1;90) conseille aux fils de ne pas s’en tenir à la loi stricte et de donner malgré tout une petite part à leurs sœurs, puisque telle était la volonté de leur père.

En conclusion: Le testament rédigé en 5765 n’est pas valable pour le nouvel appartement. Il aurait fallu le formuler de façon plus générale en incluant aussi les biens qui seront acquis plus tard (ces notions étant complexes, la rédaction doit se faire par un Dayane). D’après la loi, les filles n’ont donc pas de part dans l’appartement, mais il est conseillé de parvenir à un compromis pour respecter le désir du père.

Rav Réouven Cohen

David, résidant à Paris, vient d’acheter un appartement à Ashdod. Il laisse les clefs de son appartement à un agent immobilier, Nati, en le chargeant de trouver un locataire. Lorsqu’il a amené un client visiter l’appartement, Nati a dû lever l’interrupteur du compteur d’électricité afin de remonter les volets électriques. En sortant, il baisse les volets mais oublie d’éteindre le compteur, sans même s’apercevoir qu’il avait mis en marche la climatisation de tout l’appartement. Quelques semaines plus tard, David reçoit une facture d’électricité  importante alors que personne n’a occupé l’appartement. Nati ne cherche pas à se défaire de ses responsabilités, surtout qu’il est rémunéré pour son travail, mais il se demande malgré tout si d’après la halakha il doit payer la facture. Après tout, ce n’était qu’un oubli et de plus, il n’était pas sensé savoir que la climatisation se déclencherait.

Réponse : L’oubli est l’objet d’une grande controverse parmi les décisionnaires. Est-il considéré comme une faute (pechi’a) ou comme un cas de force majeure (onnès) ? En effet, le Cha’ar Efrayim 58 oblige le chomère (gardien) ou l’associé à payer le ‘hamets qu’il a oublié de vendre au goy avant Pessa’h (c’est aussi l’avis du Panim Méirot 1 ;59.) Le Chevout Yaakov 2 ;148 rejette l’avis du Cha’ar Efrayim car il affirme que l’oubli n’est pas considéré comme une faute (pechi’a), d’autant plus qu’aujourd’hui, les gens ont tendance à oublier. C’est aussi l’avis du Mekor Baroukh 52 au sujet d’un chomère qui a oublié de refermer un coffret de bijoux, ainsi que du Knesset Haguedola 291 ;5.

Mais il me semble que dans ce cas-là, tous les avis s’accordent à obliger l’agent immobilier à payer pour son oubli. Il ne s’agit pas uniquement d’un cas de négligence, pour lequel seul un gardien est tenu de payer : c’est un dommage au bien d’autrui pour lequel toute personne est responsable. En effet, Nati a la permission de consommer de l’électricité pour quelques instants, le temps d’une visite. En allumant l’électricité pour un mois, il s’avère qu’il a causé une perte à autrui sans  permission (voir ce qui a été rapporté au nom du Rav Elyachiv au sujet d’un emprunteur d’appartement, Mévakché Torah 5767 page 52). Son acte devient rétroactivement un dommage causé, peu importe pour quelle raison (oubli ou autre). La controverse au sujet de l’oubli ne concerne donc pas notre cas. D’autre part, c’est uniquement en cas de négligence dans sa garde que le chomère pourra dire : « On ne m’a pas averti que l’objet que je gardais était si cher ». Mais celui qui cause un dommage à son prochain ne peut pas prétendre : « Je ne savais pas que je causais un si grand dégât » (Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat 291 ; 4). Nati ne pourra donc pas dire : « Je ne savais pas que j’allumais aussi le climatiseur de l’appartement. »

Conclusion : L’agent immobilier doit payer la facture d’électricité de David.

Rav Réouven Cohen

Lévy avait deux fils, Eli et David, et une fille, Brouria, qui avait épousé un talmid ‘hakham. M. Lévy était fier de son gendre érudit et le considérait comme un fils. Il a à plusieurs reprises dit à ses fils qu’il désirait que ses biens soient partagés à parts égales avec leur sœur, mais il n’a jamais pensé nécessaire d’écrire un testament. Après son décès, son fils Eli s’oppose au partage de l’héritage avec sa sœur puisque, d’après la Torah, les filles n’héritent pas s’il y a des fils. Et puisque son père n’a pas établi de testament, Eli ne voit pas pourquoi il devrait « offrir » tant d’argent à sa sœur. Apres deux années de disputes qui ont complètement disloqué la famille, Eli demande quand même l’avis de son Rav. Le Rav lui dit que les choses ne sont pas aussi évidentes qu’il le pense et qu’il pourrait y avoir une mitsva pour lui de réaliser la volonté de son père défunt. Il lui conseille vivement de se tourner vers le beth din pour mettre fin à cette dispute. Ensuite, Eli tombe gravement malade et toute la famille décide de mettre les disputes de côté. Après le décès d’Eli, ses enfants se présentent au beth din avec leur tante pour mettre définitivement fin à cette querelle.

Réponse : Selon la Torah lorsqu’il y a des fils, les filles n’héritent pas des biens de leur père (Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat 276 ; 1). Le seul moyen d’assurer une part aux filles, c’est l’écriture d’un testament conforme à la halakha, qui leur octroie une part déjà du vivant du père. M. Lévy a seulement fait une demande orale à ses fils, sans faire d’acquisition (kinyane) valable en faveur de sa fille. Aussi, celle-ci n’a pas droit à une part de l’héritage. La question reste de savoir si les fils ont un devoir moral d’accomplir la volonté de leur père. Le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat 252; 2 écrit qu’il n’y a une mitsva d’accomplir le vœu du défunt uniquement s’il a déposé ses biens chez un tiers dans ce but. Mais le Sma’ 5 et le Chakh 4 ajoutent au nom du Ritba que si le défunt avait demandé aux héritiers de donner une part, la mitsva leur incomberait même si les biens n’ont pas été déposés chez un tiers. Rabbi Akiva Eiguer 150 s’étonne que le Chakh n’ait pas évoqué la controverse existant à ce sujet,  puisque le Ritba a lui-même rapporté des décisionnaires qui ne font pas de différence si l’ordre a été donné aux héritiers ou pas. De toute façon, dans notre cas, comme il s’agit des enfants du défunt, ils ont aussi la mitsva du kiboud av vaéme/respect des parents. Il est vrai que la mitsva du kiboud av vaéme s’applique uniquement si l’enfant ne doit pas débourser les frais de sa poche pour accomplir la volonté de son père ou de sa mère. Or là, l’héritage appartient-il déjà aux enfants ? Accomplir le vœu de leur père serait-il considéré comme débourser de l’argent de leur poche ? Bien que Rabbi Akiva Eiguer reste dans le doute, le Maharcham 2; 224 tranche qu’à ce sujet, les biens avant le partage sont considérés comme appartenant au père. Donc, si Eli s’était présenté au beth din, les dayanim lui auraient recommandé d’accomplir le vœu de son père en partageant l’héritage avec sa sœur. Mais dans notre cas, Eli est décédé. Ses enfants ont-ils eux aussi la mitsva d’accomplir le vœu de leur grand-père ? Si Eli avait demandé à ses enfants de partager avec sa sœur Brouria l’héritage qu’il a reçu de son père, ils auraient eu une mitsva de le faire. Mais Eli ne l’a jamais demandé à ses enfants. Bien au contraire, il s’y est opposé ! Il n’est pas non plus évident qu’il y ait une mitsva de respect des volontés du grand-père dans ce cas (voir ‘Helkat Yaakov, Yoré Déa 135), surtout que les petits-enfants n’ont pas entendu ce vœu de la bouche de leur grand-père et qu’il n’y aucun témoignage valable selon la halakha (par des témoins n’ayant aucun lien de parenté) qui les obligerait à le faire.

Conclusion : Brouria devra se suffire d’un tiers de la part d’héritage de son frère David, suivant la volonté de son père. Elle ne touchera rien de la part des enfants d’Eli.
Rav Réouven Cohen