Ari, qui souffre de démangeaisons aux pieds, décide de se rendre tôt le matin à la mer Morte. En prenant la route, il regrette de ne pas avoir emporté de récipients pour s’approvisionner en eau de la mer Morte afin de pouvoir continuer le traitement chez lui. En passant devant une installation de recyclage de bouteilles, il décide de prendre une dizaine de bouteilles. Mais ensuite, il se demande à qui appartiennent ces bouteilles, en réalité. Sont-elles sans propriétaire ? N’a-t-il pas commis de vol en les emportant ?
Réponse : les compagnies de recyclage louent à la mairie les endroits où elles placent leurs installations. Selon la Torah, le domaine qu’on possède est aussi un moyen d’acquisition : c’est ce qu’on appelle le « kinyane hatser ». Le domaine fait acquérir à son propriétaire tout objet qui y pénètre, même s’il ne le sait pas, à condition que ce domaine soit clôturé. Le Nétivot (200 ; 3) écrit qu’une clôture donne à un lieu le statut de domaine protégé même s’il est possible d’y pénétrer. Ces installations ont donc le même statut, bien que l’on puisse y glisser le bras. Mais il faut savoir que Rachi et le Rambam sont d’opinions partagées quant à savoir si le droit d’acquisition du domaine loué appartient au locataire ou au propriétaire de l’endroit. Le Choul’hane Aroukh (‘Hochène Michpat 313 ; 3) retient l’avis du Rambam : ce droit d’acquisition reste au propriétaire. D’après cela, comme ce n’est pas stipulé dans leur contrat, les compagnies de recyclage n’ont pas reçu de la mairie ce droit d’acquisition. Les bouteilles leur seront acquises seulement une fois qu’elles auront été récupérées par la compagnie. Entretemps, elles sont hefker, disponibles pour chacun. Mais le Chakh (1) précise que l’avis du Rambam concerne uniquement un objet trouvé tombé dans le domaine loué, mais pas un objet donné au locataire. Le propriétaire n’ayant pas d’intérêt à garder ce droit d’acquisition, il l’accorde au locataire (Ktsot Ha’hochène 1). Raison de plus pour attribuer, dans notre cas, le droit d’acquisition des bouteilles aux compagnies de recyclage, puisque le but de la location est que les gens y déposent des objets destinés au locataire. De plus, il existe une raison supplémentaire pour interdire de prendre les bouteilles de ces installations. Les Tossafot (Kidouchine 59a) rapportent, au nom du père de Rabénou Tam, qu’il est interdit de prendre des poissons rassemblés autour d’un appât, car le pêcheur les a acquis par son appât. Cette acquisition est d’ordre rabbinique et quiconque prend ces poissons est appelé racha, un méchant. Il en est de même pour ces bouteilles étant donné que les compagnies de recyclage sont la source de ce rassemblement des bouteilles.
Conclusion : Ari n’avait pas le droit de prendre ces bouteilles. Il doit donc les remettre au plus tôt dans une installation de recyclage semblable.
Rav Réouven Cohen

Les Lévy n’ont eu que deux filles, Rouhama et Dina. Rouhama a toujours été aux côtés de ses parents, alors que Dina les a complètement abandonnés et se conduit envers eux avec beaucoup de mépris. M. Lévy voudrait la déshériter, mais avant de le faire, il voudrait savoir quel est l’avis de la Torah.
Réponse : le Talmud (Baba Batra 133b) et le Choul’han Aroukh (‘Hochène Michpat 282) écrivent : « Celui qui distribue ses biens à autrui en privant ses héritiers, même si ces derniers se conduisent mal envers lui, éveille contre lui la colère des ‘Hakhamim. Ceci est valable même s’il transfère la part d’un enfant à son frère qui est sage et vertueux ». Le Rama ajoute : « Si un homme a recommandé [avant sa mort] de distribuer ses biens au mieux [sans préciser de quelle façon], on les donnera à ses héritiers car il n’y a rien de mieux à faire que cela ». Le Yérouchalmi (Baba Batra 8;6) ajoute qu’une malédiction repose sur les ossements du défunt qui a déshérité son enfant. La raison citée par le Talmud est que, même si l’héritier se comporte mal, il pourra donner naissance à un tsadik qui profitera, le moment venu, de cet héritage. Mais il faut savoir qu’il existe quelques exceptions à la règle, par exemple si l’héritier a renié sa religion. C’est ainsi que le Ma’hané Yéhouda (282) explique le comportement d’Avraham Avinou qui a accordé tous ses biens à Yits’hak au détriment de Yichmaël. Selon le Rachbam (Baba Batra 133b), il est même interdit d’accroître la part d’un enfant au détriment du second. Par contre, le Ketsot Ha’hochène (282 ; 2) rapporte l’avis du Tachbets disant que le problème ne se pose pas si on laisse à son héritier la somme de quatre zouz. Rav Yossef Karo semble retenir cet avis dans son livre Avkat Rokhel (92). Rav Moché Feinstein (Igrot Moché 2,50) considère que cette somme (de quatre zouz) doit être substantielle ; il l’évalue à son époque (en 1966) à mille dollars. Dans une autre réponse, il recommande de laisser à son héritier un cinquième de ses biens, probablement à titre de simple conseil. Les grands décisionnaires de la dernière génération se sont appuyés sur le Tachbets seulement au cas où s’ajoute à cela une mitsva ou une autre raison valable, tel qu’un enfant talmid ‘hakham dans le besoin (Yabia Omère) ou le bien-être de sa femme (pour finir honorablement ses jours) ou ses filles à marier (Min’hat Yits’hak T3 135,16 ; Iggrot Moché).
Dans le cas de la famille Lévy qui n’a pas de fils, les filles sont héritières d’après la Torah. L’interdiction de déshériter un enfant devrait semble-t-il s’appliquer aussi. Cependant l’auteur du Itour (lettre mem) pense que cette halakha s’applique seulement si le défunt a laissé des fils. Bien que le Choul’han Aroukh n’ait pas retenu cet avis, nous pourrons le rajouter à celui du Tachbets pour permettre à M. Lévy d’avantager Rouhama au détriment de sa sœur (Min’hat Yits’hak T3 135,16 au sujet d’un enfant adopté par des parents qui n’avaient que des filles). Mais rappelons que le Iggrot Moché écrit que cette permission n’est valable que pour avantager une personne et pas pour déshériter une autre.
Conclusion : il est déconseillé à Mr Lévy de punir Dina en la déshéritant. Toutefois, il pourra avantager Rouhama pour son dévouement en lui laissant une part plus importante que celle de Dina.
Rav Réouven Cohen

Eli qui habite Paris a commandé un Séfer Torah à Youval, sofer d’Achdod. Après avoir vu la belle écriture de Youval, Eli lui donne une avance. Le prochain payement sera fait dans six mois lorsque la moitié du Séfer sera déjà écrit. Six mois plus tard, Elie fait un voyage en Israël pour voir comment le travail avance. Mais Eli prétend être déçu : il s’attendait à une plus belle écriture. Il demande à Youval de trouver un autre client pour ce Séfer Torah. Youval n’est pas d’accord car il travaille depuis déjà six mois. Eli donne à Youval les 10,000 euros prévus selon leur accord, mais lui demande s’il peut continuer à travailler tout en cherchant un autre client, vu qu’il a beaucoup de demande. Youval refuse ; il finit son travail et demande à Eli les 12,000 euros prévus à la fin du travail. Youval reconnait avoir de la demande mais il préfère écrire un nouveau Séfer Torah pour ses prochains clients. Il prétend que ce Séfer Torah appartient déjà à Elie et c’est à lui de le revendre s’il le souhaite. De plus, Elie a signé un contrat stipulant que le parchemin acheté par Youval appartiendrait depuis le départ à Eli, de sorte que le sofer soit l’émissaire du client pour accomplir la mitsva d’écrire le Séfer Torah. Mais Eli refuse de payer les 12,000 euros restants. Il demande à Youval de vendre le Séfer Torah et de lui rendre l’argent qu’il a avancé. Le sofer et le client se retrouvent au beth dine pour régler ce litige.
Réponse : La question est de définir une commande. L’artisan devient-il mon employé que je n’aurai pas le droit de licencier en milieu de contrat s’il n’a commis aucune faute ? Ou bien doit-on considérer une commande comme une promesse de vente, pour laquelle je serai tenu de couvrir uniquement les pertes occasionnées par ma promesse ; et donc si l’artisan réussit à vendre le produit au prix convenu entre nous, je serai dispensé de tout payement ? C’est bien ainsi que le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (333 ; 8) considère une commande à un artisan. Mais le Netivot 15 et le Hazone Ich font dépendre cette halakha de la formulation de la commande : uniquement si le client lui a dit : « Fais-le je te l’achèterai ». Mais s’il demande à l’artisan de fabriquer pour lui un objet, l’artisan sera considéré comme son employé et l’acheteur devra le payer dès la fin de son travail. Il ne pourra pas lui dire : « Essaye de le vendre et je couvrirai tes pertes ». Le Mahara Sassone (rapporté par le Ketsot 339 ; 1) écrit que la loi dépend de la personne à qui appartient la matière première. Si elle appartient au sofer, le sofer travaille pour lui-même et n’a qu’une promesse d’achat de la part du client. Mais si son travail est effectué sur le parchemin du client, le sofer devient son employé depuis le départ. Dans notre cas, Youval a fait signer un contrat à Eli (contraignant, même s’il prétend ne pas comprendre l’hébreu ; Techouvot HaRachba) stipulant que Youval est l’émissaire d’Eli pour acheter le parchemin et écrire le Séfer Torah. Certains sofrim le font afin que leur client accomplisse la grande mitsva d’écrire soi-même un Séfer Torah et pas uniquement de l’acheter. Youval est donc devenu l’employé d’Eli et il mérite salaire selon les termes du contrat. A chaque jour de retard de payement, Eli transgresse l’interdit de béyomo titène sekharo.
En conclusion : Apres s’être assuré que l’écriture du Séfer Torah est semblable à celle de l’échantillon, le beth dine donne raison à Youval et oblige Eli à lui payer immédiatement les 12,000 euros restants avant de prendre son Séfer Torah.
Rav Réouven Cohen

Laurent est sur le point de signer un contrat de location pour un local commercial au centre-ville de Jérusalem. Le propriétaire, qui n’est pas pratiquant, lui impose de signer un contrat stipulant qu’en cas de désaccord, seul un tribunal civil pourra statuer. Laurent a toujours veillé, même en France, à ne jamais se retrouver face à un juif devant un tribunal civil. Il ne veut pas signer ce contrat mais le propriétaire n’est pas prêt à retirer cette clause. Laurent voudrait savoir ce que recommande la halakha dans ce cas-là.
Réponse : Il est interdit à deux juifs en conflit d’avoir recours à la juridiction civile. Cet interdit est d’ordre Toranique (Tachbèts 2 ; 290, Rachba 6 ; 254) même quand les juges du tribunal civil donnent un verdict identique à celui de la Torah. De plus, il y a un interdit général de ‘hiloul Hachém, de profanation du nom divin, quand on préfère la législation civile à celle de la Torah qui est d’ordre divine (Rachi sur Michpatim). Le Choul’hane Aroukh (‘Hochène Michpat 26, 1) écrit que celui qui a recours à la juridiction civile est considéré « comme un mécréant, et c’est comme s’il avait blasphémé et porté atteinte à la Torah de Moïse ». Cette halakha est valable même pour les tribunaux civils en Israël où le juge est juif. C’est d’ailleurs encore plus répréhensible, car lui-même, un juif, juge ses coreligionnaires en ignorant les principes de la Torah (‘Hazon Ich 15, Yé’havé Daat 4, 5). Cet interdit s’applique uniquement si la partie adverse est d’accord de se présenter au beth dine. Dans le cas contraire, le plaignant pourra avoir recours (uniquement avec la permission du beth dine) aux instances civiles pour revendiquer ses droits ou pour se défendre s’il y est convoqué. Dans le cas de Laurent, même sans la clause stipulant de régler leur différend au tribunal civil, le propriétaire du local aurait refusé de se présenter au beth dine. Cette clause ne change donc pas grand-chose si ce n’est que les dayanim qui règleront ce litige (si toutefois il leur est soumis) devront le juger selon les lois en vigueur dans le pays (Sma’ 26 et Nétivot, contre l’avis de Taz). En signant cette clause, Laurent ne transgresse pas d’interdit. Cette signature étant obtenue contre son gré, il ne valorise pas la loi civile au détriment de la Torah ; ce n’est donc pas non plus un ‘hiloul Hachém. C’est pour cette raison qu’il est permis par la halakha, en Israël, de signer un contrat d’assurance, d’ouvrir un compte en banque et un compte d’eau ou d’électricité, où cette clause figure systématiquement.
Conclusion : Laurent devra proposer au propriétaire de retirer la clause qui stipule que tout différend sera réglé au tribunal civil. Mais s’il refuse, Laurent pourra signer ce contrat.
Rav Réouven Cohen

David a acheté un appartement à Kiryat Séfer. Il accorde à ses voisins sa signature à leur demande d’agrandissement de leur appartement. Ce n’est que trois ans plus tard que David décide de construire lui aussi un balcon devant sa salle à manger. Mais quel ne fut pas son étonnement de se voir refuser la signature de ses voisins ! Ceux-ci prétendent que, contrairement à leur construction, celle de David va leur causer un dérangement. En effet, le bâtiment étant dénivelé, le balcon du premier étage allait gêner le passage des voisins. David les traite d’ingrats et les convoque au beth dine pour les obliger à détruire leur construction ou à lui permettre la sienne. Il prétend qu’il a accordé sa signature à la condition que tous les voisins la lui accordent aussi le jour où il déciderait de construire. Mais les voisins rétorquent qu’ils acceptent volontiers une construction qui ne dérange personne.
Réponse : il est évident que la signature de David est conditionnée de façon tacite par l’accord des voisins à le laisser construire le jour où il le désirera. Refuser leur signature aurait rendu leur propre construction illégale, puisqu’il se serait avéré après coup qu’ils n’avaient pas l’accord de David d’utiliser les parties communes. Leur accord est même considéré comme un payement pour le sien. On pourrait comparer cela au cas traité par le ‘Hatam Sofer (Yoré Déa 9) au sujet d’un chohet qui a fait à son apprenti la condition de ne jamais pratiquer la chéhita dans sa ville. Le Hatam Sofer considère cette condition faisant partie du salaire que paie l’apprenti et la transgresser reviendrait réduire le salaire du chohet, qui ne peut être remplacé par de l’argent. Il en est de même pour David : sans l’exprimer, il y a là une condition tacite. Il est clair qu’il ne donne son accord que dans l’intention qu’ils lui rendent ensuite le même service. Mais tout cela est valable uniquement pour une construction semblable à celle de ses voisins. Or David demande quelque chose de plus : réduire légèrement le passage des voisins. Il n’existe évidemment pas de condition tacite pour une chose pareille. David aurait pu dès le départ clairement conditionner son accord à l’acceptation de son agrandissement futur, aussi gênant qu’il soit. Mais aujourd’hui, il ne peut plus l’imposer.
En conclusion : David ne pourra pas imposer à ses voisins de signer pour la construction de son balcon s’il dérange plus que le leur.
Rav Réouven Cohen

Myriam, chef-pâtissière, organise des cycles de douze cours de pâtisserie en mettant comme condition la présence d’au moins huit participantes (afin que ce soit rentable pour elle). Après avoir été informées de cette condition, huit jeunes filles forment un groupe. Au bout de deux rencontres, deux participantes annoncent qu’elles ne peuvent plus assister aux cours à cause d’un empêchement de force majeure et veulent cesser de payer. Myriam ne veut pas prendre leur demande en compte car, d’une part, elle les avait prévenues d’avance qu’il lui fallait au moins huit élèves et d’autre part, parce qu’elle est de toutes façons obligée de poursuivre les cours pour les autres élèves.

Réponse : Puisque Myriam doit continuer à dispenser les cours, les deux participantes devront lui payer la totalité de la somme prévue, même si elles abandonnent en milieu de cycle.

Développement : Le Choul’han Aroukh (333) stipule qu’un employeur ne peut résilier le contrat d’un employé en cours de contrat. Le cas échéant, il devra lui verser un salaire pour toute la période d’emploi définie d’avance. Mais plus loin (334), il écrit que dans un cas de onés (force majeure) imprévisible, l’employeur ne doit rien au salarié en cas de rupture de contrat. Dans notre cas, les deux élèves sont considérées comme des employeurs puisqu’elles emploient les services de Myriam. Mais il faut savoir que cette dispense en cas de onès ne concerne que la résiliation du contrat, et l’employeur ne sera pas tenu de payer l’employé à l’avenir. En revanche, l’employeur sera tenu de payer le travail effectué jusqu’à présent, même s’il n’en tire aucun profit (voir le Nétivot Hamichpat 335, 3). Aussi, il me semble qu’il faut faire une différence entre une rupture de contrat où le salarié ne travaille plus, et celle où il est obligé de continuer son travail, qui ressemblerait à un travail déjà effectué qui doit être payé de toutes façons. Ici aussi, il semble que même si les deux élèves ne tirent aucun profit des cours que Myriam va continuer à donner aux autres participantes, puisqu’elle va devoir continuer à travailler, elles doivent payer les cours intégralement. Il en est ainsi seulement si Myriam doit fournir le même travail après le départ de deux élèves, comme cela semble être le cas ici. Sinon, par exemple si Myriam a moins de frais parce qu’elle utilise moins d’ingrédients, il faudra réduire son salaire.

Profit : sauf si l’empêchement vient du côté de l’employé. Dans ce cas-là, l’employeur payera uniquement le travail dont il profite.

Salaire : selon le barème de poél batél réduit à 50% selon Rachi (rapporté par le Taz Hochen Michpat 333 ;1). Le Beit Yossef 265 rapporte l’avis du Rambam qui fait dépendre ce barème de la difficulté du travail prévu.

Rav Réouven Cohen

Ariel, un jeune élève, part en voyage pour quelques jours. Son ami fumeur, Rafi, en profite pour lui remettre 300 dollars et lui demander de lui acheter à la boutique hors-taxe 6 cartouches de cigarettes Marlboro light. Ariel accepte, mais en arrivant aux rayons de la boutique, il se rend compte qu’il peut, en vendant lui-même ces cigarettes à l’école, financer entièrement son billet d’avion. Il envoie un message à Rafi lui disant qu’il compte finalement acheter les cigarettes pour lui-même. Rafi lui fait part de son mécontentement et lui demande de ne pas utiliser son argent à des fins personnelles. Ariel n’en tient pas compte et lui envoie la photo des 3 cartouches de Marlboro light et 3 cartouches de Marlboro rouges qu’il a acheté pour lui-même, en le rassurant qu’il le remboursera dès son retour. Mais à l’atterrissage, Ariel se fait confisquer les cigarettes à la douane. Rafi est, en fin de compte, soulagé qu’Ariel ne lui ait pas acheté les cigarettes, mais Ariel lui annonce que, selon la halakha, il ne doit rien lui rembourser.
Réponse : le Choul’hane Aroukh (‘Hochen Michpat 183 ; 3) dit que si un envoyé achète pour lui-même la marchandise avec l’argent de celui qui l’a chargé de l’achat, en le considérant comme un prêt, la marchandise appartiendra automatiquement à celui qui l’a chargé de l’acheter. Le Rama ajoute que si l’envoyé annonce devant témoins qu’il se retire de sa mission, d’après le Rav Hamaguid, la transaction sera à son profit, mais un deuxième avis dit que la marchandise revient au propriétaire de l’argent. Le Chakh (4) affirme que le Choul’hane Aroukh est aussi de cet avis, car il parle aussi du cas où l’envoyé a annoncé devant témoins qu’il agit dorénavant pour lui-même, comme semblent le penser le Rambam et le Rif. Cependant, le Nétivot (4) rejette l’interprétation du Chakh et prouve, d’après le Choul’hane Aroukh (Yoré Déa 177 ; 40), que si l’envoyé se retire devant témoins, la marchandise lui appartient, et tel est aussi l’avis du Gaone sur le Choul’hane Aroukh. Le Nétivot explique les deux avis rapportés par le Rama : d’après le premier avis, en enfreignant la volonté de celui qui l’a chargé de l’achat, l’émissaire devient un voleur et réussit de cette façon à faire l’acquisition de l’argent (il sera évidemment tenu de le rembourser) et à acheter ce qu’il désire avec. Selon le deuxième avis, celui qui l’a chargé de l’achat reste propriétaire de cet argent, et la marchandise lui revient en dépit de la volonté de l’émissaire. Il ressort d’après cela que, selon le Choul’hane Aroukh, Ariel a bien acheté toutes les cigarettes pour son compte (les messages faisant fonction de témoins qu’il s’est retiré de son rôle d’émissaire). C’est donc sa propre marchandise qui a été prise à la douane. Il doit à présent rembourser à Rafi les 300 dollars qu’il lui a pris. Mais il faut savoir que, face à cette controverse des décisionnaires, Ariel pourra s’en tenir à l’avis du Rif et du Rambam (d’autant plus que le Chakh affirme que tel est l’avis du Choul’hane Aroukh). Ariel peut prétendre qu’il n’a pas réussi à s’approprier les cartouches de cigarettes. C’est donc la marchandise de Rafi qui a été prise, et il n’a rien à lui payer. Mais il faut savoir que le Chakh (5) et le Sma’ (6) précisent que le dine sera différent si l’envoyé utilise l’argent qui lui est confié, pour acheter une autre marchandise. Tous les avis accordent à l’envoyé la contrepartie de l’argent détourné. Les Marlboro rouge appartiennent donc à Ariel alors qu’il prétendra que les Marlboro light ont été, contre son gré, automatiquement acquises par Rafi.
Conclusion : Ariel devra rembourser à Rafi 300 dollars moins le prix des 3 cartouches de Marlboro light.
Rav Réouven Cohen

Haïm, qui habite Jérusalem, achète comme placement un appartement à Beer-Sheva. Il cherche à le faire repeindre avant d’y installer un locataire. Il contacte un peintre de la ville qui lui demande 8000 shekels pour ce travail. Haïm se souvient que son cousin bricoleur Avy habite Beer-Sheva et lui demande conseil. Quand ce dernier lui affirme que le prix est excessif, Haïm lui demande de lui trouver un peintre moins cher. Avy contacte Chouki, un jeune étudiant qui se propose de peindre l’appartement pour 3500 shekels. Avy annonce à Haïm qu’il a trouvé un peintre très intéressant qui ne prendra que 5500 shekels. Il demande à Chouki de travailler pour Haïm et empoche discrètement 2000 shekels pour avoir établi ce contact. Sa femme lui dit qu’il n’a pas le droit d’agir de cette façon, mais Avy se considère comme un entrepreneur ou comme un courtier.

Réponse : Avy n’étant pas entrepreneur, il devra rendre les 2000 shekels à Haïm. Chouki, qui a été d’accord de travailler pour 3500 shekels, ne touchera que cette somme.

Développement : La michna Baba Métsia (35b) écrit que si un homme loue une vache (un locataire est tenu de rembourser l’objet en cas de vol mais pas en cas d’accident) puis la prête à quelqu’un et qu’elle meurt accidentellement chez cet emprunteur (l’emprunteur, qui profite de l’objet sans payer, endosse toutes les responsabilités et est tenu de payer tout dommage même en cas d’accident), ce dernier devra payer la valeur de la vache. Bien que l’emprunteur soit engagé vis-à-vis de son interlocuteur, c’est-à-dire le locataire, le locataire ne pourra pas se saisir de cette somme (et ne pas rembourser le propriétaire, du fait que lui-même n’est que locataire), faute de quoi il serait accusé de « faire du commerce avec la vache de son prochain ». Cette somme revient donc au propriétaire. Il en ressort un principe général : on ne peut pas toucher de bénéfices sans être impliqué dans une affaire. Les agents et les courtiers méritent salaire pour leur travail, mais ils ne peuvent toucher que la commission qui leur revient pour leur service. Avy peut demander à être rémunéré par Haïm et par Chouki en tant que courtier pour le contact qu’il a établi entre eux. Par contre, il ne doit pas empocher une somme destinée à quelqu’un d’autre (voir Tour Hochen Michpat 332). Quant à l’entrepreneur, c’est lui qu’on engage pour effectuer les travaux ; s’il ne les fait pas lui-même, il peut faire travailler qui bon lui semble. Avy n’est pas entrepreneur : il n’est qu’un envoyé de Haïm pour engager un peintre. Quant à Chouki, il travaille pour Haïm et pas pour Avy. Avy aurait pu lui demander d’être payé pour ce contact mais il n’a en aucun cas le droit de s’approprier une partie de la somme destinée au peintre, même si 5500 shekels est un prix très raisonnable. Pour gagner honnêtement cet argent, Avy aurait pu proposer à Haïm de prendre ce chantier puis engager lui-même Chouki.

Rav Réouven Cohen

Contact : Pour cela, il aurait fallu depuis le départ déterminer son salaire pour établir ce contact. Le cas échéant, il sera payé au minima, mais il aurait fallu depuis le départ travailler avec l’intention de demander un salaire pour le contact ; il serait ainsi devenu de façon tacite employé des parties. Or Avy n’a jamais eu cette intention puisqu’il comptait prendre à l’insu de tous une partie des sommes transférées de ‘Haïm à Chouki. Puisqu’il a depuis le départ renoncé à son salaire de courtier, il ne touchera rien pour ce service.

Chouki : Avy aurait alors endossé toutes les responsabilités d’un entrepreneur.

Après avoir rencontré Sarah en vue de se marier, Yaakov a du mal à se décider bien qu’il apprécie beaucoup ses qualités. Il avoue à l’intermédiaire que la malformation des dents de Sarah le dérange. Sarah, qui tient à Yaakov, s’engage à se faire redresser les dents. Au lendemain des fiançailles, elle va consulter un prothésiste qui lui fait un devis et lui conseille de commencer les soins quatre mois plus tard, après son mariage. Pour rassurer Yaakov, elle remet déjà au dentiste un chèque couvrant toute la somme et fixe les consultations. Ensuite, les soins ont été plusieurs fois repoussés pour diverses raisons. Mais aujourd’hui, Yaakov apprécie tant les qualités de sa femme qu’il a oublié la malformation qui le dérangeait. Sarah se tourne vers le dentiste pour lui demander de lui rendre son chèque. Celui-ci lui rappelle qu’elle n’a pas le droit de rompre son engagement et lui demande même de remplacer son chèque qui est daté de l’année précédente.
Réponse : Un engagement vis-à-vis d’un employé se fait par un acte d’acquisition (kinyane). Le Nétivot (333 ; 1) écrit que le paiement en argent est valable aussi. Une fois son employé engagé, l’employeur ne pourra pas le licencier et sera tenu de lui payer son salaire sur toute la période convenue. Dans notre cas, en payant d’avance, Sarah s’est engagée à employer le prothésiste et ne pourra plus, a priori, se retirer. Mais le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 334 ; 1) précise que si, pour une raison imprévisible ou prévisible pour l’employé et l’employeur, ce travail n’est plus nécessaire, l’employé ne sera payé que pour le travail effectué et l’employeur pourra se défaire de son engagement pour le futur. C’est à celui qui veut obtenir un payement de parer à toutes éventualités (Sma’ 1). Le Rama (idem) rapporte le Teroumat Hadéchéne disant, au nom des Tossafot, que l’employeur ne pourra pas réclamer la somme qu’il a déjà avancée. En effet, en avançant cette somme, l’employeur a montré qu’il était prêt à payer même en cas d’incident qui rendrait le travail inutile. Certes, dans notre cas, il est vrai que Sarah a avancé les honoraires du prothésiste, mais nous savons pour quelle raison. Ce n’était pas pour lui assurer son salaire mais plutôt pour rassurer son fiancé. Rappelons aussi la controverse entre les décisionnaires contemporains sur le statut d’un chèque. Le détenteur d’un chèque a-t-il déjà l’argent en main ou est-ce uniquement un ordre à la banque de lui remettre cette somme ? La majorité des décisionnaires pensent qu’il n’est pas mou’hzak , qu’il ne détient pas l’argent. De plus, le chèque remis par Sarah étant périmé, le prothésiste ne pourra pas obliger Sarah à le remplacer.
Conclusion : Sarah pourra annuler les soins prévus et le prothésiste ne sera donc pas payé.
Rav Réouven Cohen


         Ouri n’a pas de travail fixe. Au fil des années, il a acquis une bonne réputation pour les belles   soucot qu’il construit. A la période des fêtes, Il est tant occupé par ce travail qu’il ne trouve pas le temps de construire sa propre souca si bien qu’il se retrouve très souvent sans souca les premiers jours de Soucot. Cette année, son beau-père David n’a pas la possibilité d’héberger sa fille et sa famille. Il propose donc à son gendre de lui payer 600 shekels, son tarif habituel, mais pour construire sa propre souca. Ouri est bien content de construire sa soucca sans avoir de manque à gagner. Après coup, David se demande s’il doit vraiment le payer étant donné qu’après tout, Ouri a travaillé pour lui-même.
Réponse : le Rama (‘Hochen Michpat 81 ; 1) écrit que celui qui dit à son gendre : « Etudie avec ton fils et je te donnerai un salaire » n’est pas tenu de payer puisque son gendre est, de toutes les façons, obligé selon la Torah d’étudier avec son fils ou d’engager pour lui un enseignant. Le grand-père pourra donc dire à son gendre : « Mon offre n’était pas sérieuse ». Le Rama précise que cette halakha n’est valable que si le gendre n’est pas pauvre. S’il est pauvre, la promesse de son beau-père a le statut d’un néder, un vœu de don à la tsédaka, sur lequel on n’a pas le droit de revenir sous prétexte qu’on plaisantait. Le Toumim (6) et le Ketsot Ha’hochen (4) ajoutent que dans ce cas-là, le gendre devient son employé. L’obligation n’est pas uniquement d’ordre religieux, vis-à-vis du ciel, mais elle devient d’ordre monétaire. Le caractère sérieux de cette proposition forme un contrat entre employeur et employé. Pourtant, le Netivot (2) considère que l’on ne peut jamais être employé pour accomplir sa propre mitsva, car c’est comme si l’on proposait à quelqu’un de le payer pour mettre ses téfilines ou se construire une souca. Il existe donc une controverse dans le cas d’une proposition sérieuse de payer une personne pour qu’elle accomplisse sa mitsva : devient-elle employée pour cet acte obligatoire ou pas. Dans notre cas, David reconnaît avoir été sincère lorsqu’il a proposé à son gendre de le payer pour construire sa souca. Si Ouri n’est pas pauvre – et est considéré pauvre celui qui n’a pas de quoi subvenir à ses besoins pour les douze mois à venir – la halakha dépendra de cette controverse, puisqu’il s’agit d’une proposition sérieuse. Par contre, si Ouri est dans le besoin, David devra de toute façon le payer car il a fait un vœu d’offrir une somme d’argent à un pauvre. Mais il n’aura pas les obligations d’un employeur, telles que payer le jour de la livraison du travail, et les héritiers n’y seront pas impliqués en cas de décès.
Conclusion : si Ouri n’est pas pauvre, David pourra suivre l’opinion des décisionnaires qui le dispensent de payer. (Mais on lui conseillera malgré tout de bien considérer sa décision afin de ne pas susciter des tensions dans sa famille.)
Rav Réouven Cohen