Aryé a signé en septembre 2010 un contrat de location d’un an pour un trois pièces à Bayit Vagane au prix de 3900 shekels le mois. A la fin de l’année, il continue à occuper les lieux sans renouveler le contrat et ce, pendant plus de trois ans. En janvier 2015, son propriétaire lui fait savoir que les prix des locations ont considérablement augmenté depuis quelques années déjà. Il lui demande donc de lui verser dorénavant 5000 shekels par mois à compter du 10 janvier ou de quitter l’appartement. Aryé est contrarié par sa démarche et lui demande de le laisser finir l’année jusqu’en septembre puisque son contrat avait commencé en septembre ; il prétend de plus qu’il n’a pas le droit de lui faire quitter l’appartement en plein hiver. Avy rétorque que, depuis septembre 2011, Aryé occupe l’appartement sans contrat et que s’il s’entête, il lui réclamera une augmentation rétroactive depuis 2013, date de l’augmentation nette des prix à Bayit Vagane.
Réponse : Le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 312) écrit qu’une location dont la période n’a pas été fixée d’avance pourra être interrompue par un préavis d’un mois, sauf en hiver. Mais aujourd’hui, puisqu’il est d’usage de déménager aussi en hiver, cette restriction n’est plus en vigueur. Si les prix ont augmenté, le propriétaire pourra ajuster le prix immédiatement lors de la hausse, mais pas de façon rétroactive (voir Sma’ 14). La question est de savoir si le fait de poursuivre la location sans renouveler le contrat est considéré comme une location sans contrat ou comme si l’on considère que, de façon tacite, le contrat se renouvelle chaque année pour la même somme et la même période. Le Gaon (14) opte pour la deuxième possibilité en s’appuyant sur le Choulhan aroukh 312 ;14. Mais les autres commentateurs (Mahari ben Lev 4 ;38) pensent que le Roch (1 ; 7), qui est la source du Choul’han Aroukh, traite d’un endroit où les locations ne se faisaient qu’à une date précise, car ultérieurement, il était impossible de louer une maison ou de trouver un locataire. Dans ce cas-là, le propriétaire et le locataire sont bien conscients que leur silence les engage à poursuivre la location. C’est aussi l’avis du Rav Hay Gaon et du Méiri (Baba Metsia 101b) : le silence des parties ne renouvelle pas automatiquement le contrat sauf si elles se sont entendues pour continuer une année supplémentaire, de façon tacite selon les mêmes termes. Mais il est évident que pour la période qui a déjà été payée, le propriétaire pourra ni faire sortir le locataire ni lui demander de majoration.
Conclusion : Avy a le droit de réviser la location à la hausse mais il ne pourra renvoyer Aryé qu’avec un préavis d’un mois.
Rav Réouven Cohen

En achetant son appartement à Bayit Vagane, Yoël s’est assuré qu’il y disposerait d’un petit local pour son cabinet dentaire. Mais après s’être installé, il se trouve face à un refus catégorique de la part de certains voisins qui s’opposent à toute activité commerciale dans l’immeuble. Yoël ne baisse pas les bras et propose à ses voisins de régler ce différend au beth dine.
Réponse : le Choulhane Aroukh (‘Hochen Michpat 156, 1) écrit : « Si l’un des résidents souhaite être médecin, artisan ou professeur d’études profanes, les voisins pourront l’en empêcher à cause du va-et-vient. Et même si tous les voisins ont donné leur accord, un seul voisin pourra s’y opposer. » Le Netivot 1 ajoute qu’il n’y a pas de ‘hazaka (un droit d’usage par force d’utilisation, qui s’acquiert par le silence des voisins prouvant leur consentement) pour le va-et-vient puisque les gens qui fréquentent le commerce changent et que le dérangement est différent d’un jour à l’autre. Le consentement pour tels clients n’implique pas de consentement pour les autres. Mais le Choul’han Aroukh (idem 3) ajoute ensuite que les voisins ne peuvent pas s’opposer à une activité considérée comme une mitsva. Or soigner les gens est une mitsva (Choul’han Aroukh Yoré Déa 331, 1). C’est pour cela que le Sma’ (3) dit que la loi ne vise pas un cabinet médical mais plutôt un professeur en médecine que veut organiser chez lui une classe ; dans ce cas, ses voisins pourront l’en empêcher. Le Taz, pour sa part, écrit que l’on permettra uniquement une mitsva qui nécessite un local pour se rassembler, telle que la prière ; par contre, un médecin, bien qu’il accomplisse une mitsva, pourra fournir ce service au domicile de ses patients sans déranger ses voisins. Mais il semble que le Taz serait d’accord qu’un dentiste exerce chez lui, puisqu’il n’a aucun moyen de transporter son matériel chez ses clients. Il faut pourtant citer l’avis du Paamonei Zahav, qui considère que les voisins pourront empêcher le médecin d’exercer s’il a parmi ses clients des non-Juifs que ce n’est pas une mitsva de soigner. Mais ce n’est pas le cas dans le quartier de Bayit Vagane. Aussi, les voisins ne pourront pas s’opposer à l’ouverture de son cabinet dentaire, surtout que l’exercice est limité à quelques clients pour quelques heures seulement (Tour idem 5, au nom du Rama).
Conclusion : Yoël est autorisé à ouvrir son cabinet dentaire dans son appartement sans que ses voisins ne puissent s’y opposer.
Rav Réouven Cohen

Yoni et Rivka se sont fiancés et fixent la date de leur mariage pour le 10 Elloul. Ils vont ensemble visiter une salle qu’ils finissent par réserver. Le propriétaire demande d’avancer 10% de la somme et de signer un contrat dans lequel il est stipulé qu’il faudra dans tous les cas payer la totalité de la somme et qu’aucune annulation n’était possible. C’est Yoni qui avance l’argent et signe sur le contrat. Au bout de deux mois, Rivka fait savoir à Yoni qu’elle veut rompre les fiançailles, sans donner de raison valable à ses yeux. Il fait intervenir quelques personnes en vain : Rivka ne l’apprécie pas assez pour se marier avec lui. Les fiançailles sont rompues. Yoni, déprimé, se retrouve avec une énorme dette puisqu’il doit couvrir le coût de la salle. Il se demande s’il peut imposer ces frais à Rivka.
Réponse : le Rambam (Zekhiya Oumatana 6,24) écrit que s’il est d’usage que le fiancé fasse un repas de fiançailles, la fiancée qui se rétracte devra lui payer tout ce qu’il a déboursé pour cette cérémonie. Le Raavad s’oppose à cet avis et considère qu’il s’agit d’un grama (dommage indirect) pour lequel il n’y a qu’un devoir moral de rembourser la perte, et le beth dine ne pourra pas l’y obliger. Le Choul’han Aroukh (Evène Haézère 50,3) ne rapporte que l’avis du Rambam. Bien que le Knessète Haguedola affirme que seul le Rambam est de cet avis, la grande majorité des Poskim (Radvaz 4,10, Tachbets 2,166, Aroukh Hachoul’han 50,20) le retiennent. Mais il semble que dans notre cas, même le Raavad serait d’accord qu’il faut contraindre Rivka à payer les frais de la salle. En effet, dans le cas cité par le Rambam, les dépenses du fiancé, bien que d’usage, n’ont pas été suscitées par la demande de la fiancée ou de sa famille. Dans notre cas, par contre, Yoni et Rivka ont cherché ensemble à réserver une salle. Yoni a déboursé l’argent sur sa demande et il est clair qu’elle doit payer sa part, plus celle de Yoni puisqu’elle a rompu leurs fiançailles sans raison justifiée. C’est ce qu’écrit Rabbi Akiva Eiguer (Responsa 1,134) qui assimile cela à un homme qui a promis de prêter de l’argent et qui devra payer (dina dégarmi) les frais de rédaction du contrat s’il se rétracte (Sma’ 39,46). Mais il est évident que si Rivka s’est rétractée pour une raison valable, comme par exemple un vice caché chez son fiancé, elle ne sera pas tenue de payer les frais engagés.
Conclusion : Rivka devra couvrir tous les frais des préparatifs du mariage.
Rav Réouven Cohen

Cette année, David a invité beaucoup de monde à la séoudat Pourim et a dû emprunter au gma’h une table pliante. Philippe, qui faisait partie des invités, boit un coup de trop et en chantant, il frappe très fort sur la table qui se fend en deux. Après Pourim, il appelle David pour s’excuser. David le met à l’aise et lui explique qu’il s’agit d’une simple table en plastique qui ne vaut que 200 shekels. Tous deux se demandent qui doit rembourser la table au gma’h.
Réponse : Le Rama (Ora’h ‘Hayim 695 ; 2) écrit que celui qui cause un dommage au cours de la joie de Pourim sera dispensé de payer. Le Maguen Avraham précise qu’il s’agit uniquement d’un dégât causé involontairement du fait de la joie, mais pas dans l’intention d’endommager. Le Michna Beroura 13 rapporte l’avis du Ba’h qui limite cette dispense à un dégât léger. Il semble que celui qui frappe sur la table pour accompagner son chant est inclus dans cette dispense. De plus, il s’agit d’une somme qui n’est pas importante. Mais certains auteurs contemporains se sont appuyés sur le Nétivot pour considérer Philippe obligé de payer la table. Ils affirment qu’il faut le considérer pas seulement comme une personne qui cause un dommage mais aussi comme un emprunteur qui endosse, selon la Torah, toutes les responsabilités pour l’objet emprunté. Le Nétivot (340 ; 8) écrit que celui qui emprunte un banc ou un livre pour l’utiliser chez le préteur pendant un certain temps, bien qu’il n’ait pas fait d’acte d’acquisition pour endosser les responsabilités de choel (emprunteur), sera considéré comme un choel, du fait de l’utilisation de l’objet. Le profit de l’utilisation a une valeur d’argent qui fait effet de kinyane (acte d’acquisition). En s’appuyant là-dessus, ces auteurs considèrent Philippe comme choel de la table que son hôte a mise à sa disposition. Il en a donc l’entière responsabilité, même à Pourim. Philippe doit de toute façon rendre l’objet emprunté comme tout gardien.
Mais à mon humble avis, le Nétivot ne s’applique pas dans notre cas car il parle de celui qui emprunte un objet pour un moment donné, même si l’objet se trouve chez son propriétaire. Selon la halakha, lorsque je prête un objet pour un moment, je ne peux pas le reprendre pendant ce laps de temps. L’emprunteur acquiert un droit d’utilisation que je ne pourrai pas lui retirer sans son accord. Ce droit implique toutes les responsabilités d’un choel. Ce n’est pas le cas pour mon invité : il peut utiliser mes meubles et consommer mes aliments mais il n’a acquis aucun droit sur eux. Je peux à tout moment écourter mon invitation ou lui interdire de manger. Le ‘Hatam Sofer (‘Hochen Michpat 50) fait clairement cette distinction entre celui qui prête sa maison (ce qui donne à l’emprunteur une certaine propriété) et celui qui héberge son prochain chez lui (qui ne possède aucun droit de propriété).
Conclusion : La table n’ayant pas une grande valeur, Philippe n’est pas tenu de la rembourser.
Rav Réouven Cohen

Monsieur Attali approche des quatre-vingts ans. Le bruit du climatiseur de ses voisins du dessus, les Lévy, l’empêche de dormir, sans parler de la musique que les Fink écoutent jusqu’à des heures tardives. M. Attali leur a plusieurs fois fait la remarque, mais en vain. Il s’adresse au beth dine pour savoir quels sont ses droits à ce sujet.
Réponse : il existe une controverse entre le Choul’han Aroukh et le Rama (‘Hochen Michpat 156 ; 2) à savoir si le bruit qu’on fait chez soi est considéré comme un dégât que les voisins peuvent empêcher. Le Choul’han Aroukh écrit que les voisins peuvent empêcher une personne d’ouvrir un magasin chez elle à cause du va et vient, mais ils ne peuvent pas l’empêcher de fabriquer des objets chez elle, même si elle fait du bruit, parce qu’elle a une ‘hazaka (un droit d’usage par force d’utilisation, qui s’acquiert par le silence des voisins prouvant leur consentement). Il faut savoir que le Choul’han Aroukh parle seulement de bruits forts comme ceux causés par un moulin ou un marteau. Le Rama pense que les voisins ne peuvent pas l’en empêcher chez elle, avec ou sans ‘hazaka. Le Rama ajoute au nom du Rivach que les avis sont tous d’accord qu’un malade peut empêcher son voisin de faire du bruit. Les Décisionnaires contemporains déclarent que, de nos jours, le manque de sommeil est cause de fatigue ; aussi, tout le monde est considéré comme malade dans ce domaine et pourra empêcher son voisin de faire un bruit qui dérangerait son sommeil (voir Kessef Hakodachim idem.). Par contre, pour des bruits habituels tels que les discussions à voix haute parfois ou même les cris nocturnes des enfants, le ‘Hazon Ich (Baba Batra 13 ; 11) écrit que même un malade ne pourra pas les empêcher, car on ne peut pas empêcher ses voisins de vivre normalement. Le fait que l’un se soit installé le premier dans l’immeuble n’a pas d’incidence sur la halakha. Il semble qu’aujourd’hui, la climatisation est considérée comme une utilisation habituelle, aussi on ne pourra pas l’empêcher même la nuit, sauf s’il s’agit d’un vieil appareil particulièrement bruyant. Quant à la musique, les voisins devront respecter les heures raisonnables de sommeil, chaque endroit selon sa coutume. Si les voisins ne respectent pas cette règle, M. Attali pourra avoir recours à la police, car celle-ci ne fait que mettre fin au vacarme et n’inflige pas de sanctions (pour lesquelles il faudrait avoir recours à un beth dine).
Conclusion : les Lévy pourront utiliser leur climatiseur même aux heures de sommeil. Quant aux Fink, ils devront s’abstenir d’écouter de la musique pendant les heures où leur voisin âgé dort et respecter ses besoins.
Rav Réouven Cohen

Le jour de Pourim, avant de boire comme il se doit, Avraham demande à un élève de sa classe de la yéchiva, Yits’hak, de lui garder ses lunettes. Cette classe étant particulièrement unie, Yits’hak les prend et demande à un camarade commun, Yaakov, de les garder. Une fois dessoulé, Avraham retrouve ses lunettes cassées. Yits’hak l’adresse à Yaakov, qui affirme les avoir déposés chez un autre camarade de classe sans se rappeler lequel. Avraham se tourne vers Yits’hak et lui demande de lui rembourser ses lunettes. Comme c’est à lui qu’il les a confiées, il n’a pas à courir pour chercher le responsable. Mais Yits’hak rétorque que Yaakov est aussi un ami proche d’Avraham et qu’il a endossé toutes ses responsabilités en tant que chomère (gardien). Yaakov, pour sa part, prétend avoir bien fait de confier l’objet entre les mains d’un camarade de classe. Entre copains de classe, on s’est toujours fait confiance. C’est juste qu’il a oublié qui c’était.
Réponse : Il faut savoir que lorsqu’une personne accepte de garder un objet même bénévolement, elle s’engage automatiquement de par la halakha à assumer toutes les responsabilités financières d’un gardien, c’est-à-dire de rembourser l’objet en cas de négligence; elle en sera dispensé uniquement si elle prouve par témoins ou serment qu’elle n’a commis aucune faute. Le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 291 ; 26) écrit qu’un homme qui confie un objet dont il a la garde à un tiers sera tenu de rembourser l’objet endommagé. Le propriétaire n’est pas obligé de croire le deuxième gardien s’il déclare, même sur serment, qu’il n’a commis aucune négligence, sauf s’il s’agit d’une personne à qui le propriétaire a l’habitude de confier ce genre d’objet. Dans notre cas, Avraham fait entièrement confiance à Yaakov (le deuxième gardien), si bien que Yits’hak pourra sortir de l’affaire, à moins que Yaakov ne soit pas solvable (idem 24). Il nous reste à établir le statut de Yaakov qui prétend avoir oublié à qui il a confié les lunettes. Il ne propose personne à sa place pour rendre des comptes au sujet de l’objet gardé. Le Choul’han Aroukh (idem 7) dit qu’un gardien qui prétend avoir oublié où il a enfoui l’argent remis à sa garde sera considéré comme ayant commis une pechi’a (faute) ; il devra de suite rembourser le propriétaire, sans même lui laisser le temps de chercher l’objet. Le Netivot (14) explique que sa faute a commencé lorsqu’il a enterré cet argent sans même noter l’endroit pour s’en rappeler. Le Nétivot va jusqu’à considérer cela comme un dommage, et pas uniquement comme une pechi’a (qui n’oblige qu’un gardien). En effet, si je cache l’objet de mon prochain et ne suis pas capable de le retrouver ensuite, je devrai le lui payer même si je ne suis pas gardien de l’objet. Certains décisionnaires (Imrei Chéfer 24) n’ont pas retenu cet avis ; d’après eux, il s’agit uniquement d’une pechi’a. La question est de savoir si notre cas est comparable à celui-ci. Remettre un objet à une personne responsable n’est a priori pas semblable à enfouir un objet. Ne faudrait-il pas comparer Yaakov plutôt à quelqu’un qui oublie de faire quelque chose qui lui incombe de faire ? Or l’oubli est l’objet d’une grande controverse parmi les décisionnaires. Est-ce considéré comme une faute (pechi’a) ou comme un cas de force majeure (onnès) ? (Voir à ce sujet le Cha’ar Efrayim 58 au sujet du gardien ou de l’associé ayant oublié de vendre le ‘hamets au non-Juif avant Pessa’h, ainsi que le Chevout Yaakov 2 ; 148). Mais il semble que notre cas n’est pas visé par cette loi. En effet, le Choul’han Aroukh nous dit d’autre part (‘Hochen Michpat 185 ; 9) que le courtier (considéré comme un gardien rémunéré) qui a reçu la permission d’hypothéquer un objet et qui ne se rappelle plus à qui il l’a hypothéqué sera considéré comme poché’a (coupable de négligence) et sera tenu de le payer. Il en sera de même pour Yaakov : il ne pourra pas se défaire de sa responsabilité de gardien s’il ne dit pas clairement à qui il a confié les lunettes d’Avraham.
Conclusion : puisque ces camarades se font entièrement confiance, Avraham devra se tourner vers Yaakov et celui-ci sera tenu de lui payer ses lunettes cassées.
Rav Réouven Cohen

David s’est installé dans un quartier religieux de Nétivot, dans le sud d’Israël. Il est émerveillé de l’entraide qui règne dans cette communauté. Désirant lui aussi faire partie de ces généreuses personnes, il décide d’ouvrir un gma’h, une association de prêt sans intérêt. Il accomplira ainsi la grande mitsva de prêter de l’argent à qui en a besoin. Il en parle à ses connaissances et, peu à peu, la caisse du gma’h s’emplit par les dépôts de bienfaiteurs qui désirent participer à cette mitsva. Un jour, il est cambriolé : des voleurs dérobent 3000 euros du gma’h. Il se demande s’il est tenu de rembourser cette somme au gma’h.
Réponse : Tout dépend des termes écrits dans le reçu qu’il a donné aux dépositaires. Ont-ils déposé l’argent ou l’ont-ils prêté à David ? Si le terme utilisé est halvaa, un prêt, David est évidemment tenu de rembourser l’argent qu’on lui a prêté dans tous les cas. Mais en général, le terme employé est hafkada, dépôt. Donc, a priori, David n’est que gardien de l’argent. Il faut pourtant savoir que ce terme de « dépôt » est aussi utilisé par les banques, bien qu’il soit évident que l’argent des clients leur est prêté sous la responsabilité totale des banques. C’est probablement parce qu’elles rendent service à leurs clients en acceptant leurs prêts qu’elles utilisent le terme de dépôt. Elles demeurent malgré tout des emprunteurs. Mais dans le doute, le gma’h pourra s’en tenir au sens propre du terme hafkada, dépôt. Il nous reste à déterminer quel type de gardien le receveur d’un dépôt est considéré par la halakha. Est-il chomér hinam, un gardien non rémunéré qui n’est responsable qu’en cas de négligence de sa part, ou bien chomér sakhar, un gardien rémunéré qui est responsable aussi en cas de vol. Dans notre cas, il semble que David tire profit de son rôle de gérant de gma’h en rendant tant de services aux membres de sa communauté, car il lui permet de s’y intégrer plus facilement. C’est d’ailleurs lui qui a demandé à ses connaissances de déposer de l’argent dans le gma’h. Un gardien qui tire un profit quelconque devient automatiquement « gardien rémunéré » et responsable aussi en cas de vol. Le Rav Mendel Chafrane a même émis l’hypothèse de le considérer comme choèl, emprunteur d’objet (même s’il n’emprunte pas d’argent du gma’h) puisqu’il utilise à son profit l’objet déposé en le prêtant aux autres. David serait alors responsable même en cas de force majeure, par exemple un vol à main armée, à la différence du lové, l’emprunteur d’argent. D’après cette opinion, David sera, à mon avis, dispensé de rembourser les impayés, en vertu de la règle de méta mé’hamat mélakha (Choul’hane Aroukh ‘Hochène Michpat 340 ;1) qui dispense le choèl de rembourser le dommage si la bête est morte à cause du travail qu’elle a fait, puisque c’est bien pour qu’elle travaille qu’il l’a empruntée. Il en sera de même pour David si un prêt n’est pas remboursé, car il a utilisé l’argent dans le but pour lequel il a été déposé au gma’h. Mais il me semble que cette hypothèse est à vérifier, puisque les dépositaires tirent eux-mêmes aussi profit de la mitsva. Or le choèl endosse le plus haut niveau de responsabilité parce qu’il a été le seul profiteur.
Conclusion: David doit rembourser à la caisse du gma’h les 3000 euros dérobés si le vol n’a pas été effectué à main armée.

Rav Reouven Cohen

David a loué son appartement pour deux ans à son ami Ramy au prix de 6000 shekels par mois. Comme ils se faisaient confiance, David n’a pas demandé de garant. Mais au bout de trois mois, Ramy se retrouve au chômage et a du mal à payer son loyer. Il rassure David que c’est une difficulté passagère et lui demande d’attendre quelques mois pour être payé, le temps qu’il trouve un nouveau travail. Désireux d’aider son ami, David accepte mais demande qu’un garant signe sur le contrat. Avy accepte de signer comme garant. Quinze mois plus tard, David appelle Avy pour lui réclamer 90,000 shekels. Avy est stupéfait de cette somme énorme et refuse de la payer. Il prétend qu’il n’a jamais été d’accord de s’engager sur plus de deux ou trois mois de loyer. Selon lui, David aurait dû l’en avertir plus tôt, car il aurait alors fait pression sur Ramy de payer son loyer ou de quitter l’appartement. De plus, il dit à David que David n’a pas accepté ce locataire en s’appuyant sur sa garantie puisqu’il n’a ajouté sa signature qu’après trois mois d’occupation des lieux. David lui répond que si Ramy avait continué à ne pas payer, il se serait tourné vers le beth dine pour lui faire quitter l’appartement, mais puisqu’il avait sa garantie, il a laissé tranquillement son ami Ramy retrouver une situation stable et c’est justement la raison pour laquelle il a demandé un garant.

Réponse : David s’est abstenu de renvoyer Ramy de son appartement en s’appuyant sur la garantie d’Avy. Celui-ci devra respecter son engagement et payer les 90,000 shekels qu’il pourra par la suite réclamer à Ramy.

Développement : le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (129 ;1) écrit que celui qui se porte garant après que l’argent ait été prêté sera tenu de payer uniquement s’il y a fait un kinyan (acte d’acquisition). La raison de cette halakha est qu’un garant est censé payer seulement si le prêteur a compté sur sa garantie pour débourser l’argent, mais pas si l’argent est déjà passé chez l’emprunteur avant l’engagement du garant. Il faudra donc un acte supplémentaire (le kinyan) pour que cela engage le garant. Avy a donc raison de relever le fait qu’il a signé plus tard. Mais dans le cas qui nous intéresse, Avy doit malgré tout payer le loyer de Ramy puisque, sans sa garantie, David aurait fait quitter à Ramy son appartement. Cela ressemble à la halakha qu’un garant doit payer même s’il s’est engagé après l’emprunt lorsque le prêteur rend le gage car il compte sur la garantie (ibid. 3). De même, dans notre cas, David aurait pu renvoyer Ramy mais continue à lui louer son appartement car il compte sur la garantie d’Avy. Reste à savoir si Avy a raison de dire que David n’aurait pas dû attendre si longtemps pour lui réclamer la somme. Le Mayim ‘Hayim ‘Hochen Michpat 12 traite d’un cas semblable ; il écrit que le propriétaire est en droit de ne pas harceler son locataire et de lui laisser le temps de rassembler le montant des mensualités, puisqu’il a la garantie que la somme non payée par son locataire sera réglée par le garant. De plus, Avy s’est engagé à payer toutes les obligations de Ramy selon le contrat ce qui couvre bien plus que les mensualités (dégâts ou autres).

Rav Réouven Cohen

plus tard : Il faut noter qu’un grand nombre de décisionnaires considèrent la signature du garant comme un acte d’acquisition par force de sitoumta, l’usage de s’engager de cette façon. Ceci validerait de toute façon la garantie d’Avy. Cet avis étant controversé, j’ai préféré m’appuyer sur d’autres arguments qui valident cette garantie sans acte d’acquisition.

Ramy : La difficulté souvent occasionnée d’évacuer un locataire des lieux n’affectera pas le statut d’Avy de garant avant remise des fonds (‘arev lifnei matane maot). Voir ‘Hazei Haténoufa rapporté par le Beth Yossef ‘Hochène Michpat 129 au sujet d’une marchandise déjà détenue par l’acheteur à crédit avec lequel le vendeur a mis pour condition l’apport d’un garant. Celui-ci est considéré comme garant avant remise des fonds, puisque le statut juridique de la marchandise (achetée ou volée) dépend de sa signature. Il en est de même dans notre cas : Ramy étant en violation de contrat, il n’est plus considéré comme un locataire, mais comme un voleur. C’est grâce à la signature d’Avy en tant que garant que David restitue à Ramy ce droit de location qui suppose une dette mensuelle vis-à-vis de David.

David décide d’ouvrir une affaire et pour se procurer les fonds nécessaires, il se tourne vers son ami Daniel. Celui-ci accepte de lui prêter 100,000 euros pour un an, à condition que l’un de leurs amis communs se porte garant. David demande à Daniel de lui virer les fonds car, lui affirme-t-il, Simon est prêt à signer comme garant mais il ne le pourra le faire qu’à son retour de voyage. Daniel et David signent un contrat de prêt avec une condition de garantie de la part de Simon. Sous la pression de David, Daniel accepte de virer les fonds avant même d’en parler à Simon. Ce n’est qu’au bout d’une semaine que Simon signe en tant que garant sur le prêt. Un an plus tard, l’affaire ne s’est pas développée et David n’est pas capable de rembourser le prêt. Il n’est vraiment pas solvable et a même perdu toutes ses économies. Daniel, le prêteur, se tourne vers Simon pour lui demander d’assumer sa garantie. Celui-ci lui demande d’être patient et d’attendre que David puisse payer. Il prétend de plus que David avait déjà reçu l’argent du prêt lorsqu’il a signé la garantie et Daniel a remis cet argent sans même avoir eu sa garantie verbale. Simon prétend n’avoir causé aucun tort à Daniel étant donné que Daniel n’a pas compté sur lui pour prêter cet argent.
Réponse : Le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (129 ; 8) écrit qu’il n’est permis de se tourner vers le garant qu’après s’être assuré que l’emprunteur n’a aucun moyen de rembourser. On pourra se tourner directement vers le garant seulement s’il est ‘arév kablane ; dans ce cas, c’est considéré comme si le garant avait lui-même reçu l’argent. C’est pour cette raison que les gma’him aujourd’hui demandent aux garants de s’engager en tant que ‘arév kablane. Avant de se tourner vers Simon, Daniel donc devra prouver que David n’a vraiment pas de quoi rembourser, pas même des biens immobiliers. Et dans ce cas-là, Simon ne pourra lui demander d’attendre patiemment. D’autre part, le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (129 ; 1) écrit que la personne qui se porte garante après que l’argent ait été prêté sera tenue de payer uniquement si elle a fait un kinyane (acte d’acquisition). La raison en est qu’un garant est censé payer seulement si le prêteur a compté sur sa garantie pour débourser l’argent, mais pas si l’argent a déjà été remis à l’emprunteur avant l’engagement du garant. Il faut donc un acte supplémentaire (le kinyane) pour que cela engage le garant. Simon a donc raison de relever le fait qu’il a signé plus tard. Mais dans notre cas, Simon devra malgré tout rembourser le prêt car Daniel a donné ce prêt à condition que Simon soit garant. Le ‘Hazei Haténofa (rapporté par le Beit Yossef 129 ; 1) parle d’un cas semblable où le vendeur a accepté de vendre à crédit à condition qu’il y ait un garant. Bien que le garant n’ait signé qu’après la vente, le ‘Hazei Haténofa l’a quand même obligé à payer puisque l’acheteur n’a pas acquis la marchandise par son acte d’acquisition tant que le garant n’a pas signé. Il y a donc eu signature avant la transaction. Il en est de même pour notre cas : Daniel a conditionné son prêt par la signature du garant. L’argent viré au compte de David ne devient sa propriété qu’après la signature de Simon. Sa signature est donc considérée comme préalable au prêt, ce qui l’engage même sans acte d’acquisition.
Conclusion : Après s’être assuré que David n’est réellement pas solvable, Simon devra rembourser le prêt immédiatement.
Rav Réouven Cohen

A son décès, M. Israëli a laissé quatre garçons et une fille. Il était particulièrement attaché à sa fille unique Rachel. À la fin de ses jours, la maladie ne lui a pas laissé le temps d’écrire un testament pour lui accorder une partie de son important patrimoine. Fidèle aux lois de la Torah, Rachel savait très bien qu’elle n’avait pas droit à une part d’héritage. Elle a malgré tout essayé de convaincre ses frères qu’il n’y avait aucun doute que leur père lui aurait accordé une part importante de ses biens. Ses frères ont fait la sourde oreille. Bien que très contrariée, elle renonce à obtenir une part afin d’éviter toute dispute dans la famille. Mais ce calme ne dure pas longtemps : peu de temps après, ses frères ont besoin de sa signature pour inscrire les biens immobiliers à leur nom au cadastre (puisque d’après la loi civile, elle est héritière d’un cinquième des biens). Sur les conseils de son mari, Rachel refuse de signer tant qu’elle n’a pas perçu une part conséquente de l’héritage de son père. Ses frères l’accusent de ne pas respecter les lois de la Torah et la convoquent au Beth dine dans l’espoir que celui-ci l’oblige à signer chez le notaire qu’elle renonce à sa part d’héritage.

Réponse : Les frères Israëli ne pourront pas obliger leur sœur Rachel à signer gratuitement sur les documents qui leur permettent d’inscrire les biens à leur nom. Ils devront arriver à un compromis ou se tourner vers un Beth Dine qui imposera ce compromis à une somme de l’ordre de 10% de la part accordée à Rachel par la loi civile.

Développement : cette question fait l’objet d’une grande controverse. Selon la Torah, s’il y a des fils, la fille n’hérite pas. Il est donc évident que si M. Israëli n’a pas établi de testament (valable selon la halakha), Rachel n’a pas droit au patrimoine de son père. D’autre part, selon la loi civile, la fille hérite autant que les fils et un cinquième des biens est inscrit officiellement au nom de Rachel. La question est de savoir si, au cas où ses frères ont besoin de sa signature pour inscrire certains biens à leur nom, elle est obligée de signer ou bien elle peut dire : « Je ne touche pas aux biens mais je ne signe pas non plus. Vous pouvez utiliser les biens inscrits civilement à mon nom. Mais si vous voulez que je vous rende le service de les inscrire à votre nom, il vous faut payer pour ce service ! »

La Guemara (Baba Kama 102b) dit que si quelqu’un achète un terrain et l’inscrit au nom d’un tiers sans l’avertir, le tiers pourra refuser de lui écrire ensuite un contrat de vente. Il pourra prétendre que cela risque de faire courir un bruit qu’il a besoin d’argent puisqu’il vend un bien et lui causer du tort (Roch). Le Maharchal (33) en déduit que, si le tiers n’a rien à perdre, il devra lui signer un contrat de vente pour que l’acheteur puisse prendre possession de son terrain, sans quoi il sera accusé de midat sedom (refuser de rendre un service qui ne cause aucun dérangement). De là, le Na’halat Tsvi (276) déduit que les filles ne peuvent pas refuser leur signature à leurs frères.

Ceci rejoint l’opinion du Maharit qui considère qu’il existe une obligation de hachavat avéda (rendre un objet perdu) puisque les instances civiles détournent les biens revenant aux fils en inscrivant une partie au nom des filles. Celles-ci sont les seules capables de rectifier la chose et de rendre les « objets perdus » à leurs propriétaires. Mais le Mahari Bassane considère que la fille peut demander à être rémunérée pour ce service qu’elle rend à ses frères. Le Ben Ich ‘Haï (Rav Péa’lim ‘Hochen Michpat 2;15) l’explique en s’appuyant sur le Rama (264 ; 4) disant que chaque service rendu à son prochain mérite salaire. C’est pour cela que de nombreux décisionnaires des dernières générations (Divrei ‘Haïm 2 ; 3, Choel Ouméchiv 1 ; 78, ‘Houkot ‘Haïm 73) considèrent que l’on ne pourra pas obliger la fille à signer. Ils conseillent aux Dayanim d’arriver à un compromis (en prenant en compte la situation financière de la fille) d’environ 10% (Rabbi ‘Haim Falagi, Ben Ich ‘Haï) de la part accordée à la fille par les instances civiles.

Rav Réouven Cohen