David rencontre son ami Efraïm à la porte d’embarquement pour le vol de Tel-Aviv et lui demande de lui garder sa sacoche le temps qu’il aille aux toilettes. Efraïm accepte et lui dit de la poser sur sa propre valise se trouvant à ses pieds. Un quart d’heure plus tard, en rejoignant Efraïm, David s’aperçoit que sa sacoche a disparu. Gêné, Efraïm ne comprend pas ce qui a pu se passer, mais il avoue qu’il s’est permis de se joindre, pour quelques minutes, à un minyane qui s’est rapidement formé pour prier min’ha. David est très fâché. Il l’avait prévenu Efraïm que sa sacoche contenait entre autres ses téfilines et sa tablette. Il lui demande d’assumer ses responsabilités de chomère (gardien) et de payer la valeur totale du contenu de sa sacoche, évalué à plus de 3000 euros. Vraiment désolé, Efraïm répond qu’il n’a rien à payer puisqu’il a gardé cet objet de façon bénévole pour lui rendre service. De plus, il a agi de la même façon pour ses bagages à lui.
Réponse : Efraïm n’a pas raison. En effet, le gardien bénévole n’est pas responsable en cas de perte ou de vol, mais seulement s’il a convenablement gardé l’objet (Choul’han Aroukh 291 ; 1). Par contre, si l’objet a été volé par sa faute, il en sera responsable et devra rembourser le dommage. Une garde convenable est déterminée selon la façon dont on garde généralement de tels objets. Or personne ne quitte, même pour quelques minutes, son sac à main contenant des affaires précieuses. Même si le gardien se permet de le faire pour ses propres affaires, il n’en sera pas moins responsable. David a donc raison de lui dire : « Tu peux prendre des risques pour tes affaires mais pas pour les miennes ! ». Efraïm devra, a priori, payer la somme que David lui réclame. Il y a pourtant une raison différente qui pourrait l’acquitter de ce paiement. En effet, il existe une controverse entre le Rambam et le Roch à savoir s’il suffit de poser l’objet devant le gardien et de s’en aller pour qu’il endosse la responsabilité (Roch) ou bien s’il faut un acte d’acquisition (en levant par exemple l’objet ou en le faisant entrer dans son domaine) pour devenir gardien (Rambam). Le Choul’han Aroukh (291 ; 5) rapporte les deux avis. Efraïm a été d’accord de garder le sac mais il ne l’a pas pris en main. D’après le Rambam, il n’est donc pas encore devenu responsable. Efraïm pourra donc dire : « kim li – je m’appuie sur cet avis ». Mais s’il veut être quitte selon les deux avis, il devra payer les 3000 euros, d’autant plus que le Choul’hane Aroukh a présenté l’avis du Roch en premier (stam véyéch halakha késtam).
En conclusion : David ne pourra pas obliger Efraïm à lui rembourser l’objet perdu, mais Efraïm fera bien de le rembourser, pour s’acquitter des deux avis mentionnés dans le Choul’han Aroukh.

Dan a grandi dans une famille très aisée. Après son mariage, il continue le même train de vie sans en avoir vraiment les moyens. Ses amis, qui connaissent son père, lui font confiance et lui prêtent de grosses sommes sans même établir de contrat. Au bout d’un moment, ils s’aperçoivent qu’il n’a pas de quoi rembourser. Il se tournent vers son père qui leur répond qu’ils n’auraient pas dû lui prêter de l’argent. Mais il les rassure : Dan s’est engagé dans une nouvelle affaire et devrait bientôt être en mesure de commencer à les rembourser. Les créanciers demandent au père de Dan de se porter garant. Celui-ci n’a aucune raison d’accepter, mais il leur fait une proposition : il est prêt à le faire pour qui renoncera à 40% de la dette. Trois créanciers acceptent, et le père se porte garant pour les 60% restants de leur dû. L’échéance arrivée, Dan n’est toujours pas en mesure de rembourser. Son père veut retirer sa proposition et demande aux créanciers de s’arranger directement avec son fils sur la totalité du prêt. Est-ce permis ?
Réponse : le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (129 ; 2) écrit que le garant s’engage par la parole. Mais plus haut (129 ; 1), il écrit que celui qui se porte garant après le prêt sera tenu de payer uniquement s’il a fait un kinyane (acte d’acquisition). La raison de cette halakha est qu’un garant est censé payer seulement si le prêteur a compté sur sa garantie pour débourser l’argent, mais pas si l’argent a été remis à l’emprunteur avant l’engagement du garant. Il faudra donc un acte supplémentaire (le kinyane) pour que cela engage le garant. Or le Rama (3) écrit que si le créancier renonce à son dû sur la demande du garant (le Sma’ explique qu’il renonce à son dû pour n’avoir affaire qu’au garant), même après que l’argent ait été prêté, la garantie sera valable même sans acte d’acquisition. Il en sera de même pour le père de Dan. Comme les créanciers ont renoncé à 40% de leur dû pour bénéficier de la garantie du père, ce dernier devra donc payer les 60% restants. Il ne pourra pas annuler sa garantie et les créanciers ne pourront pas se dédire. D’ailleurs, même si Dan est en mesure de payer, il ne devra rembourser que 60% du prêt car le renoncement des créanciers a été ferme et sans condition. Par contre, s’ils avaient mis pour condition qu’ils renonçaient à 40 % si le père de Dan remboursait les 60% de la somme, la loi aurait été différente. Le père aurait pu se rétracter et les créanciers auraient pu réclamer à Dan la totalité de la dette.
Conclusion : le père de Dan doit respecter son engagement d’être garant et rembourser 60% des prêts des trois créanciers.
Rav Réouven Cohen

Déjà âgé, Daniel pense au partage de ses biens. Il éprouve un attachement particulier pour sa fille mariée à un talmid ‘hakham chez qui il est très souvent hébergé. Il est très fier de ses petits-enfants qui suivent le chemin de leur père. Il souhaite donc allouer à sa fille la moitié de son patrimoine. Vu qu’il a aussi deux fils, selon la halakha, sa fille n’est pas héritière. Il se demande donc s’il a le droit d’aller à l’encontre de la Torah en accordant une si grande part à sa fille. Avant de se rendre chez son avocat pour rédiger son testament, il prend conseil chez son Rav.
Réponse : Il faut d’abord savoir que, pour modifier l’ordre de l’héritage énoncé par la Torah, il faut établir de son vivant un document conforme à la Halakha avec acte d’acquisition. Les testaments proposés par les avocats ne comportent généralement pas cet acte d’acquisition ; le testamentaire y exprime simplement sa volonté. De toutes les façons, chaque terme pouvant influer sur la validité de ce document, il est fortement conseillé de le faire rédiger par un Dayan ou un Rav expert en la matière. Le Talmud (Baba Batra 133b) et le Choul’han Aroukh (‘Hochène Michpat 282) écrivent : « Celui qui distribue ses biens à autrui en privant ses héritiers, éveille contre lui la colère des ‘Hakhamim ». Pourtant, nous trouvons plusieurs grands talmidé hakhamim ayant eux-mêmes écrit un testament accordant une demie part à leur fille. En effet, cela fait déjà plusieurs siècles que la pratique s’est répandue en Europe d’accorder à la fille, sur contrat à son mariage, une demie part d’héritage ; c’est ce qu’on appelle : chtar ‘hatsi zakhar. Cette permission s’appuie sur plusieurs raisons, dont nous citerons quelques-unes : pour marier plus facilement sa fille (Maharam Mints 47 s’appuyant sur le traité Ketoubot 52) mais il faut laisser des biens aux fils (Tachbets et Maharchal), ainsi qu’éviter des discordes dans la famille (Rama responsa 257) surtout si elles risquent d’être réglées au tribunal civil (Rabbi ‘Hayim Falagi). Mais le Panim Méirot (1 ;1) et le ‘Hatam Sofer (Evèn Haézèr 2 ; 168) écrivent que cette permission de léguer ses biens aux filles n’est valable que jusqu’à une part équivalente aux fils. Daniel ne pourra à priori donc pas accorder plus d’uns tiers de son patrimoine à sa fille. Pourtant, il peut malgré tout le faire dans son cas particulier. En effet, son gendre étant talmid ‘hakham (même s’il n’est pas dans le besoin), cette donation pourra être considérée comme tsédaka (charité) surtout s’ils ont de nombreux enfants, eux-mêmes érudits, à marier. Or il est permis de détourner l’héritage pour offrir des sommes, même importantes, à la tsédaka (Beth Yossef, Yoré Déa 249). De plus, si Daniel a été hébergé chez sa fille chez laquelle il est bien plus à l’aise que chez ses fils, ce sera considéré comme un payement. En effet, le Tsémah Tsédek (42) a permis à un vieillard d’accorder 2/3 de son appartement à son gendre et sa fille, qui allaient venir habiter avec lui, au détriment de son fils. La Guemara dit bien (Erouvine 86a) : « Si ton gendre crie, tu peux rentrer chez lui, mais si ta belle-fille crie, sauve-toi » ! La donation a, en réalité, pour but le bien-être du vieillard, et pas celui de sa fille.
Conclusion : Daniel est autorisé à léguer à sa fille la moitié de ses biens en rédigeant un testament conforme à la halakha.
Rav Réouven Cohen

David demande à Chlomo, son menuisier, de lui fabriquer une bibliothèque sur mesure. Chlomo achète le matériel et commence à travailler sur le projet. Quelques jours plus tard, David change d’avis et décide de faire construire une bibliothèque murale en plâtre dans son salon. Il appelle Chlomo pour annuler la commande, s’assurant auparavant que Chlomo n’a pas encore coupé les planches et qu’il peut s’en servir pour un autre client. Toutefois, en se souvenant d’un autre litige avec un employé (un démêlé concernant un produit informatique) réglé par un Dayan, Chlomo affirme qu’indépendamment de la perte du matériau, il y a eu un début de contrat avec commencement de travail et que David n’a pas le droit de se rétracter. Chlomo réclame donc à David la totalité de la somme convenue.
Réponse : Il est vrai qu’un engagement vis-à-vis d’un ouvrier est irréversible s’il a commencé à travailler. Dans notre cas, Chlomo a commencé à œuvrer sur le projet ; même s’il n’a pas coupé les planches et n’a causé aucune perte de matériel, il devrait être défendu à David de se rétracter. Mais il faut savoir que parfois, une commande à un artisan peut être formulée d’une manière qui n’est pas vraiment engageante, par exemple si l’on commande un gâteau en promettant de l’acheter une fois prêt, sans formuler les choses comme un contrat de travail. Dans un contrat de travail, on dirait par exemple : « Fais telle et telle chose, et je te rémunèrerai pour ton travail ». Une promesse d’achat, par contre, s’exprime ainsi : « Fais-le et je te l’achèterai ». Cette différence est commentée par le Nétivot (333, 15) et le Hazon Ich (Baba Kama 23 ; 35) pour expliquer la loi énoncée par le Roch (source de la halakha du Choulhan Aroukh Hochen Michpat 333, 8). En effet, selon le Roch, lorsqu’on a demandé à un artisan de fabriquer quelque chose et qu’on se rétracte au moment où il le fournit, il faut le payer car sinon, l’objet va être jeté, comme dans le cas d’une denrée périssable, en vertu de la loi « dina dégarmi », car on a occasionné une perte. Le Nétivot demande pourquoi cela concerne seulement une denrée périssable. Ne doit-on pas payer un ouvrier pour la seule raison qu’il a travaillé à notre demande, même si le travail a été effectué dans la rue, par exemple, et qu’on n’en a pas profité ? Il répond que dans ce cas, la formulation est différente : il n’y a pas eu « contrat de travail » mais « promesse d’achat » une fois l’objet fini. Cette promesse d’achat n’oblige pas à payer le travail, sauf si elle a occasionné une perte de matériel et d’énergie.
De nos jours, même si l’on ne formule pas clairement la commande comme une promesse d’achat, nous devons la comprendre ainsi, car on a l’habitude de considérer les choses de cette façon. La preuve en est que, même si l’objet est accidentellement endommagé chez l’artisan, on ne demande jamais à celui qui l’a commandé de payer le travail, ce qui aurait dû être le cas si l’on considérait l’artisan comme un employé, tenu par un contrat de travail. Mais on pourrait cependant considérer qu’il existe un accord tacite de garantie de l’objet de la part de l’employé envers celui qui passe la commande, ce qui confirme son statut d’employé et pas d’artisan avec promesse d’achat. Dans le doute entre ces deux possibilités, on ne pourra donc pas obliger Chlomo à payer.
Quant au litige invoqué par Chlomo, le cas était différent. Il s’agissait d’un contrat établi avec un programmateur pour améliorer la qualité d’un produit informatique. Le programmateur a donc travaillé sans fournir un nouveau produit. Dans ce cas, le commencement du travail (Choulan Aroukh Hochen Michpat 333, 2) ou le début de paiement (Nétivot Id. 1) cause une obligation de rémunérer l’ouvrier car on ne peut en aucun cas appeler cela une promesse d’achat. C’est pour cette raison que Chlomo a dû payer les services du programmateur même après l’avoir fait cesser en milieu de travail (selon un barème inférieur de poèl batel, puisqu’il n’a pas travaillé autant que pour un produit fini).
Conclusion : si l’annulation de David ne cause pas de perte à l’artisan, il n’est tenu de lui payer la commande.
Rav Réouven Cohen

 

M. Gross, qui était gravement malade à Paris, a fait savoir à sa famille qu’il souhaitait être enterré à Jérusalem. Connaissant sa situation financière, ses enfants n’accordent pas d’importance à son vœu très couteux. Ils préfèrent l’enterrer en France et garder le peu d’argent qu’il laisse en héritage. Son frère s’oppose vivement à ce qu’il soit enterré en France. Les orphelins font savoir à leur oncle que leur situation financière est très difficile et que, s’il le désire, il peut prendre en charge les frais supplémentaires d’un enterrement en Israël. Son frère se tourne vers un possek halakha (décisionnaire) pour savoir si les enfants du défunt ont l’obligation d’accomplir le vœu de leur père.

Réponse : la mitsva d’enterrer le défunt incombe en premier lieu à ses enfants, même s’il n’a pas laissé d’argent. S’il a laissé de l’argent, les héritiers n’hériteront pas de la somme nécessaire à des funérailles respectables telles qu’elles sont pratiquées dans son milieu ou bien telles qu’il en a émis la volonté. Les enfants Gross doivent enterrer leur père à Jérusalem.

Développement : C’est une mitsva d’accomplir le vœu du défunt. Toutefois, le Choul’hane Aroukh (‘Hochène Michpat 252 ; 2) retient l’avis qui limite cette mitsva au cas où le père a déposé à un tiers à cet effet l’argent nécessaire pour réaliser sa volonté. Rabbi Akiva Eiguer (Responsa 150) se demande s’il existe malgré tout ici une mitsva de kiboud av (respect du père). Sachant que cette mitsva de respecter ses parents n’oblige pas à débourser son propre argent, il se demande si les biens laissés par le défunt et dont le fils vient d’hériter, sont considérés comme l’argent du père (concernant le souhait qu’il a exprimé) ou l’argent du fils, puisqu’il en est déjà héritier. Bien que le Maharcham (2 ; 224) tranche que, concernant le vœu du défunt, les biens sont considérés comme l’argent du père, les enfants ne seront pas accusés de vol s’ils n’accomplissent pas la mitsva d’honorer les désirs de leur père. Même selon cet avis, cet argent leur appartient déjà. Il s’agit là d’une mitsva, mais pas d’une obligation monétaire qui incombe aux enfants. D’autre part, si un homme ne laisse pas d’argent à sa mort, les frais de son enterrement seront imputés à la communauté, avec une priorité à la famille proche – enfants, parents, frères ou sœurs (Maharam Mints 53). Mais il faut savoir que, si le défunt a laissé de l’argent, le dine (la loi) sera différent pour les frais d’enterrement. Il semble, et c’est étonnant, que bien que le défunt ne soit plus de ce monde, il reste encore propriétaire de l’argent qui réglera les frais de son enterrement. Le Tsits Eliézer (7 ; 48) le déduit du Rachba (rapporté par le Rama ‘Hochène Michpat 210 ; 3) qui stipule que l’on peut offrir au mort des objets qui serviront à ses funérailles ; le défunt en deviendra propriétaire de droit. Il en est de même pour notre cas : du moment que le malade émet le vœu d’être enterré en Israël, la somme nécessaire à cet effet reste la propriété du mort et ne fera pas partie de l’héritage. Ses enfants n’auront donc aucun droit sur cette somme. Retenir cet argent pour eux-mêmes sera un acte de vol. Ils sont donc dans l’obligation d’enterrer leur père en Israël en utilisant les fonds qu’il a laissés.

Rav Réouven Cohen

Déjà : Il n’y a de propriété que pour une personne vivante. Au décès, les biens passent systématiquement aux héritiers. C’est la raison pour laquelle, contrairement au testament civil, selon la Torah, le vœu du défunt ne donnera pas de droit au bénéficiaire. La passation de propriété doit impérativement se faire du vivant par un acte d’acquisition (tel qu’un testament cachère).

Etonnant : Ce dine est étonnant puisque le mort n’a pas de faculté de possession. Dans ce cas, une propriété lui est accordée pour les besoins de son enterrement.

Ari, qui souffre de démangeaisons aux pieds, décide de se rendre tôt le matin à la mer Morte. En prenant la route, il regrette de ne pas avoir emporté de récipients pour s’approvisionner en eau de la mer Morte afin de pouvoir continuer le traitement chez lui. En passant devant une installation de recyclage de bouteilles, il décide de prendre une dizaine de bouteilles. Mais ensuite, il se demande à qui appartiennent ces bouteilles, en réalité. Sont-elles sans propriétaire ? N’a-t-il pas commis de vol en les emportant ?
Réponse : les compagnies de recyclage louent à la mairie les endroits où elles placent leurs installations. Selon la Torah, le domaine qu’on possède est aussi un moyen d’acquisition : c’est ce qu’on appelle le « kinyane hatser ». Le domaine fait acquérir à son propriétaire tout objet qui y pénètre, même s’il ne le sait pas, à condition que ce domaine soit clôturé. Le Nétivot (200 ; 3) écrit qu’une clôture donne à un lieu le statut de domaine protégé même s’il est possible d’y pénétrer. Ces installations ont donc le même statut, bien que l’on puisse y glisser le bras. Mais il faut savoir que Rachi et le Rambam sont d’opinions partagées quant à savoir si le droit d’acquisition du domaine loué appartient au locataire ou au propriétaire de l’endroit. Le Choul’hane Aroukh (‘Hochène Michpat 313 ; 3) retient l’avis du Rambam : ce droit d’acquisition reste au propriétaire. D’après cela, comme ce n’est pas stipulé dans leur contrat, les compagnies de recyclage n’ont pas reçu de la mairie ce droit d’acquisition. Les bouteilles leur seront acquises seulement une fois qu’elles auront été récupérées par la compagnie. Entretemps, elles sont hefker, disponibles pour chacun. Mais le Chakh (1) précise que l’avis du Rambam concerne uniquement un objet trouvé tombé dans le domaine loué, mais pas un objet donné au locataire. Le propriétaire n’ayant pas d’intérêt à garder ce droit d’acquisition, il l’accorde au locataire (Ktsot Ha’hochène 1). Raison de plus pour attribuer, dans notre cas, le droit d’acquisition des bouteilles aux compagnies de recyclage, puisque le but de la location est que les gens y déposent des objets destinés au locataire. De plus, il existe une raison supplémentaire pour interdire de prendre les bouteilles de ces installations. Les Tossafot (Kidouchine 59a) rapportent, au nom du père de Rabénou Tam, qu’il est interdit de prendre des poissons rassemblés autour d’un appât, car le pêcheur les a acquis par son appât. Cette acquisition est d’ordre rabbinique et quiconque prend ces poissons est appelé racha, un méchant. Il en est de même pour ces bouteilles étant donné que les compagnies de recyclage sont la source de ce rassemblement des bouteilles.
Conclusion : Ari n’avait pas le droit de prendre ces bouteilles. Il doit donc les remettre au plus tôt dans une installation de recyclage semblable.
Rav Réouven Cohen

Les Lévy n’ont eu que deux filles, Rouhama et Dina. Rouhama a toujours été aux côtés de ses parents, alors que Dina les a complètement abandonnés et se conduit envers eux avec beaucoup de mépris. M. Lévy voudrait la déshériter, mais avant de le faire, il voudrait savoir quel est l’avis de la Torah.
Réponse : le Talmud (Baba Batra 133b) et le Choul’han Aroukh (‘Hochène Michpat 282) écrivent : « Celui qui distribue ses biens à autrui en privant ses héritiers, même si ces derniers se conduisent mal envers lui, éveille contre lui la colère des ‘Hakhamim. Ceci est valable même s’il transfère la part d’un enfant à son frère qui est sage et vertueux ». Le Rama ajoute : « Si un homme a recommandé [avant sa mort] de distribuer ses biens au mieux [sans préciser de quelle façon], on les donnera à ses héritiers car il n’y a rien de mieux à faire que cela ». Le Yérouchalmi (Baba Batra 8;6) ajoute qu’une malédiction repose sur les ossements du défunt qui a déshérité son enfant. La raison citée par le Talmud est que, même si l’héritier se comporte mal, il pourra donner naissance à un tsadik qui profitera, le moment venu, de cet héritage. Mais il faut savoir qu’il existe quelques exceptions à la règle, par exemple si l’héritier a renié sa religion. C’est ainsi que le Ma’hané Yéhouda (282) explique le comportement d’Avraham Avinou qui a accordé tous ses biens à Yits’hak au détriment de Yichmaël. Selon le Rachbam (Baba Batra 133b), il est même interdit d’accroître la part d’un enfant au détriment du second. Par contre, le Ketsot Ha’hochène (282 ; 2) rapporte l’avis du Tachbets disant que le problème ne se pose pas si on laisse à son héritier la somme de quatre zouz. Rav Yossef Karo semble retenir cet avis dans son livre Avkat Rokhel (92). Rav Moché Feinstein (Igrot Moché 2,50) considère que cette somme (de quatre zouz) doit être substantielle ; il l’évalue à son époque (en 1966) à mille dollars. Dans une autre réponse, il recommande de laisser à son héritier un cinquième de ses biens, probablement à titre de simple conseil. Les grands décisionnaires de la dernière génération se sont appuyés sur le Tachbets seulement au cas où s’ajoute à cela une mitsva ou une autre raison valable, tel qu’un enfant talmid ‘hakham dans le besoin (Yabia Omère) ou le bien-être de sa femme (pour finir honorablement ses jours) ou ses filles à marier (Min’hat Yits’hak T3 135,16 ; Iggrot Moché).
Dans le cas de la famille Lévy qui n’a pas de fils, les filles sont héritières d’après la Torah. L’interdiction de déshériter un enfant devrait semble-t-il s’appliquer aussi. Cependant l’auteur du Itour (lettre mem) pense que cette halakha s’applique seulement si le défunt a laissé des fils. Bien que le Choul’han Aroukh n’ait pas retenu cet avis, nous pourrons le rajouter à celui du Tachbets pour permettre à M. Lévy d’avantager Rouhama au détriment de sa sœur (Min’hat Yits’hak T3 135,16 au sujet d’un enfant adopté par des parents qui n’avaient que des filles). Mais rappelons que le Iggrot Moché écrit que cette permission n’est valable que pour avantager une personne et pas pour déshériter une autre.
Conclusion : il est déconseillé à Mr Lévy de punir Dina en la déshéritant. Toutefois, il pourra avantager Rouhama pour son dévouement en lui laissant une part plus importante que celle de Dina.
Rav Réouven Cohen

Eli qui habite Paris a commandé un Séfer Torah à Youval, sofer d’Achdod. Après avoir vu la belle écriture de Youval, Eli lui donne une avance. Le prochain payement sera fait dans six mois lorsque la moitié du Séfer sera déjà écrit. Six mois plus tard, Elie fait un voyage en Israël pour voir comment le travail avance. Mais Eli prétend être déçu : il s’attendait à une plus belle écriture. Il demande à Youval de trouver un autre client pour ce Séfer Torah. Youval n’est pas d’accord car il travaille depuis déjà six mois. Eli donne à Youval les 10,000 euros prévus selon leur accord, mais lui demande s’il peut continuer à travailler tout en cherchant un autre client, vu qu’il a beaucoup de demande. Youval refuse ; il finit son travail et demande à Eli les 12,000 euros prévus à la fin du travail. Youval reconnait avoir de la demande mais il préfère écrire un nouveau Séfer Torah pour ses prochains clients. Il prétend que ce Séfer Torah appartient déjà à Elie et c’est à lui de le revendre s’il le souhaite. De plus, Elie a signé un contrat stipulant que le parchemin acheté par Youval appartiendrait depuis le départ à Eli, de sorte que le sofer soit l’émissaire du client pour accomplir la mitsva d’écrire le Séfer Torah. Mais Eli refuse de payer les 12,000 euros restants. Il demande à Youval de vendre le Séfer Torah et de lui rendre l’argent qu’il a avancé. Le sofer et le client se retrouvent au beth dine pour régler ce litige.
Réponse : La question est de définir une commande. L’artisan devient-il mon employé que je n’aurai pas le droit de licencier en milieu de contrat s’il n’a commis aucune faute ? Ou bien doit-on considérer une commande comme une promesse de vente, pour laquelle je serai tenu de couvrir uniquement les pertes occasionnées par ma promesse ; et donc si l’artisan réussit à vendre le produit au prix convenu entre nous, je serai dispensé de tout payement ? C’est bien ainsi que le Choul’han Aroukh ‘Hochen Michpat (333 ; 8) considère une commande à un artisan. Mais le Netivot 15 et le Hazone Ich font dépendre cette halakha de la formulation de la commande : uniquement si le client lui a dit : « Fais-le je te l’achèterai ». Mais s’il demande à l’artisan de fabriquer pour lui un objet, l’artisan sera considéré comme son employé et l’acheteur devra le payer dès la fin de son travail. Il ne pourra pas lui dire : « Essaye de le vendre et je couvrirai tes pertes ». Le Mahara Sassone (rapporté par le Ketsot 339 ; 1) écrit que la loi dépend de la personne à qui appartient la matière première. Si elle appartient au sofer, le sofer travaille pour lui-même et n’a qu’une promesse d’achat de la part du client. Mais si son travail est effectué sur le parchemin du client, le sofer devient son employé depuis le départ. Dans notre cas, Youval a fait signer un contrat à Eli (contraignant, même s’il prétend ne pas comprendre l’hébreu ; Techouvot HaRachba) stipulant que Youval est l’émissaire d’Eli pour acheter le parchemin et écrire le Séfer Torah. Certains sofrim le font afin que leur client accomplisse la grande mitsva d’écrire soi-même un Séfer Torah et pas uniquement de l’acheter. Youval est donc devenu l’employé d’Eli et il mérite salaire selon les termes du contrat. A chaque jour de retard de payement, Eli transgresse l’interdit de béyomo titène sekharo.
En conclusion : Apres s’être assuré que l’écriture du Séfer Torah est semblable à celle de l’échantillon, le beth dine donne raison à Youval et oblige Eli à lui payer immédiatement les 12,000 euros restants avant de prendre son Séfer Torah.
Rav Réouven Cohen

Laurent est sur le point de signer un contrat de location pour un local commercial au centre-ville de Jérusalem. Le propriétaire, qui n’est pas pratiquant, lui impose de signer un contrat stipulant qu’en cas de désaccord, seul un tribunal civil pourra statuer. Laurent a toujours veillé, même en France, à ne jamais se retrouver face à un juif devant un tribunal civil. Il ne veut pas signer ce contrat mais le propriétaire n’est pas prêt à retirer cette clause. Laurent voudrait savoir ce que recommande la halakha dans ce cas-là.
Réponse : Il est interdit à deux juifs en conflit d’avoir recours à la juridiction civile. Cet interdit est d’ordre Toranique (Tachbèts 2 ; 290, Rachba 6 ; 254) même quand les juges du tribunal civil donnent un verdict identique à celui de la Torah. De plus, il y a un interdit général de ‘hiloul Hachém, de profanation du nom divin, quand on préfère la législation civile à celle de la Torah qui est d’ordre divine (Rachi sur Michpatim). Le Choul’hane Aroukh (‘Hochène Michpat 26, 1) écrit que celui qui a recours à la juridiction civile est considéré « comme un mécréant, et c’est comme s’il avait blasphémé et porté atteinte à la Torah de Moïse ». Cette halakha est valable même pour les tribunaux civils en Israël où le juge est juif. C’est d’ailleurs encore plus répréhensible, car lui-même, un juif, juge ses coreligionnaires en ignorant les principes de la Torah (‘Hazon Ich 15, Yé’havé Daat 4, 5). Cet interdit s’applique uniquement si la partie adverse est d’accord de se présenter au beth dine. Dans le cas contraire, le plaignant pourra avoir recours (uniquement avec la permission du beth dine) aux instances civiles pour revendiquer ses droits ou pour se défendre s’il y est convoqué. Dans le cas de Laurent, même sans la clause stipulant de régler leur différend au tribunal civil, le propriétaire du local aurait refusé de se présenter au beth dine. Cette clause ne change donc pas grand-chose si ce n’est que les dayanim qui règleront ce litige (si toutefois il leur est soumis) devront le juger selon les lois en vigueur dans le pays (Sma’ 26 et Nétivot, contre l’avis de Taz). En signant cette clause, Laurent ne transgresse pas d’interdit. Cette signature étant obtenue contre son gré, il ne valorise pas la loi civile au détriment de la Torah ; ce n’est donc pas non plus un ‘hiloul Hachém. C’est pour cette raison qu’il est permis par la halakha, en Israël, de signer un contrat d’assurance, d’ouvrir un compte en banque et un compte d’eau ou d’électricité, où cette clause figure systématiquement.
Conclusion : Laurent devra proposer au propriétaire de retirer la clause qui stipule que tout différend sera réglé au tribunal civil. Mais s’il refuse, Laurent pourra signer ce contrat.
Rav Réouven Cohen

David a acheté un appartement à Kiryat Séfer. Il accorde à ses voisins sa signature à leur demande d’agrandissement de leur appartement. Ce n’est que trois ans plus tard que David décide de construire lui aussi un balcon devant sa salle à manger. Mais quel ne fut pas son étonnement de se voir refuser la signature de ses voisins ! Ceux-ci prétendent que, contrairement à leur construction, celle de David va leur causer un dérangement. En effet, le bâtiment étant dénivelé, le balcon du premier étage allait gêner le passage des voisins. David les traite d’ingrats et les convoque au beth dine pour les obliger à détruire leur construction ou à lui permettre la sienne. Il prétend qu’il a accordé sa signature à la condition que tous les voisins la lui accordent aussi le jour où il déciderait de construire. Mais les voisins rétorquent qu’ils acceptent volontiers une construction qui ne dérange personne.
Réponse : il est évident que la signature de David est conditionnée de façon tacite par l’accord des voisins à le laisser construire le jour où il le désirera. Refuser leur signature aurait rendu leur propre construction illégale, puisqu’il se serait avéré après coup qu’ils n’avaient pas l’accord de David d’utiliser les parties communes. Leur accord est même considéré comme un payement pour le sien. On pourrait comparer cela au cas traité par le ‘Hatam Sofer (Yoré Déa 9) au sujet d’un chohet qui a fait à son apprenti la condition de ne jamais pratiquer la chéhita dans sa ville. Le Hatam Sofer considère cette condition faisant partie du salaire que paie l’apprenti et la transgresser reviendrait réduire le salaire du chohet, qui ne peut être remplacé par de l’argent. Il en est de même pour David : sans l’exprimer, il y a là une condition tacite. Il est clair qu’il ne donne son accord que dans l’intention qu’ils lui rendent ensuite le même service. Mais tout cela est valable uniquement pour une construction semblable à celle de ses voisins. Or David demande quelque chose de plus : réduire légèrement le passage des voisins. Il n’existe évidemment pas de condition tacite pour une chose pareille. David aurait pu dès le départ clairement conditionner son accord à l’acceptation de son agrandissement futur, aussi gênant qu’il soit. Mais aujourd’hui, il ne peut plus l’imposer.
En conclusion : David ne pourra pas imposer à ses voisins de signer pour la construction de son balcon s’il dérange plus que le leur.
Rav Réouven Cohen